La remise en cause de ce facteur humain met en abstraction, au moins de manière temporaire, les débats houleux sur les effets de l’automatisation du travail sur l’emploi : il n’est plus question de se demander si la robotisation tuera ou non l’emploi en milieu industriel et si le recours à l’intelligence artificielle va occasionner la suppression d’un nombre considérable de postes dans les secteurs du service. Actuellement, la priorité semble être de faire fonctionner l’économie, les industries, et cela sans mettre en péril « l’humain ». Mais concrètement, avant de se pencher sur l’évolution de l’emploi dans le secteur de l’informatique dans cette période de crise, quelle est la situation dans sa globalité ? Les données disponibles sur l’emploi dans le contexte américain, durement touché par l’épidémie, devraient probablement offrir une bonne observation de ce phénomène.
Le marché du travail américain donne certainement des idées sur ce qui pourrait se passer partout dans les pays développés et émergents. Tout d’abord, le Bureau américain des statistiques sur le travail (Bureau of Labor Statistics ou BLS) plane sur les répercussions du COVID-19 en mars 2020 à propos de la sécurité de l’emploi aux États-Unis. Le confinement à cause de l’épidémie est en quelque sorte responsable de la fermeture (temporaire ou non) de toute entreprise dont les activités sont désormais qualifiées de « non essentielles », ce qui a fait bondir le taux de chômage à 4,5 % pour le mois de mars, comparé à 3,5 % enregistré le mois précédent et qui est déjà considéré comme des chiffres records sur une période de plusieurs années.
Or, les données avancées par le BLS se fondent principalement sur celles enregistrées jusqu’au douzième jour du mois (période de paie), ce qui veut dire que les situations peuvent être largement plus sombres en considérant ce qui s’est passé jusqu’en fin mars. En effet, si le Département américain du travail avait annoncé 3,3 millions de demandes d’assurances chômage déposées à la mi-mars, ce nombre a doublé en seulement deux semaines (ce nombre n’était que de 280 000 durant la deuxième semaine du mois). De surcroit, avec une prévision de confinement généralisé pour certains grands États qui n’ont pas encore adopté ce type de mesures le mois dernier (Géorgie, Floride, en l’occurrence), ces chiffres risquent de monter en flèche.
Par ailleurs, il y a une réduction significative des heures de travail des employés restants, de 34,4 heures par semaine en février à 33,7 heures par semaine en fin mars.
Le nombre d’offres d’emploi qui a diminué de 20 % aux États-Unis en mois de mars, par rapport à la même période pour l’année précédente, laisse aussi entendre que le COVID-19 a frappé fort au niveau des projets de développement des entreprises. LinkedIn estime que l’embauche dans le pays a diminué de 1,1 % en mars relativement à ce qu’il en a été en mars 2019, et a baissé de 1,3 % en comparaison à février 2020. Cependant, cette baisse n’est pas uniforme, car si elle est très prononcée pour certains secteurs (20 % par exemple pour les secteurs des loisirs et du voyage), l’on constaterait même une augmentation d’embauche au niveau de quelques industries, dont celles des logiciels et des services informatiques.
La baisse des offres d'emploi est relativement faible pour le secteur de l'informatique
Situation pour les secteurs de l'informatique
Avant de parler de l’impact du COVID-19, il faut d’abord noter que le contexte d’émergence de cette crise est caractérisé par un sérieux déséquilibre sur le marché de travail relatif à l’informatique : l’offre de compétences technologiques émanant des chercheurs d’emploi n’est pas parvenue depuis longtemps à satisfaire la demande des entreprises. Les circonstances générées par cette crise sanitaire dans les secteurs touchant à l’informatique, notamment la hausse de la demande de haut débit (à rappeler par exemple que vers la dernière semaine du mois de mars, l’utilisation mondiale d’internet a augmenté de 70 %, avec un streaming à près de 12 %) et la montée du travail à domicile avec le confinement, pourraient être des facteurs de développement des emplois dans ce milieu. Mais la réalité peut être beaucoup plus complexe que cela.
En fait, les emplois créés aux États-Unis dans le secteur informatique sont estimés à 8500 en mois de mars. Toutefois, 19 000 informaticiens auraient également perdu leurs emplois dans d’autres secteurs, au cours de la même période. Certes, la reconfiguration nécessaire des systèmes informatiques d’entreprise a occasionné une forte demande de compétences de la part des entreprises. L’on se souvient par exemple des batailles incessantes entre des géants de la technologie de l’information qui cherchent à améliorer leurs produits et services pour attirer la masse d’utilisateurs potentiels générée par le fait de devoir rester chez soi : entre Microsoft Team et Slack, entre Zoom et Skype, etc.). Néanmoins, la fermeture économique de nombreuses entreprises a aussi entrainé des pertes d’emplois informatiques.
Par ailleurs, dans le secteur informatique, il faut noter que les professions purement informatiques occupent seulement 44 % des postes existants, le reste étant donc associé à des fonctions plus auxiliaires (vente, marketing, finances, ressources humaines, etc.).
Croissance des principaux emplois informatiques de février-mars 2020
Plus en détail (toujours selon les chiffres de BLS), entre les mois de février et de mars, le secteur a connu une création de 1800 postes dans la fabrication d’ordinateurs et d’intrants informatiques, soit un total d’environ 1,1 million d’emplois. Les emplois relatifs au traitement de données, à l’hébergement et aux services connexes ont augmenté de 1900 à 352 300. Le domaine des services informatiques et logiciels, y compris le développement de systèmes informatiques, ont connu une hausse de 3800 à plus de 2 256 000 de postes. Les autres services d’information de ce secteur (le volet recherche, en l’occurrence) ont connu une croissance de l’ordre de 2700 à 357 300. En définitive, le taux de chômage des informaticiens n’était que de 2,4 % en mois de mars, si c’est presque le double pour l’ensemble des secteurs aux États-Unis.
En matière d’opportunité d’emploi causée entre autres par les besoins ayant émergé pendant cette crise, les offres publiées par les entreprises ont connu une augmentation entre février et mars pour atteindre 359 400. Les demandes de compétences en développement de logiciels et d’applications figurent en haut de la liste (près de la moitié de ces postes), suivies de loin par celles relatives aux métiers des spécialistes du support informatique, des ingénieurs système et architecture, des analystes système, et des chefs de projet informatique. Par contre, les offres pour les postes clés de haut niveau ont été relativement peu nombreuses, à cause de la difficulté de la rencontre physique probablement.
En tout cas, le critère d’aptitude pour le « Travail à domicile » (exigé ou en option) est mis en évidence pour les deux tiers de l’ensemble de ces offres, un critère très prononcé pour certains États comme la Californie, le Texas, et New York. Au regard de ces statistiques du BLS, la tendance est de conclure que le secteur de l’informatique n’est pas en crise, ce qui pourrait être une conclusion un peu trop réductrice de la réalité.
Tendances à apprécier avec prudence
Pour appréhender l’avenir de l’emploi dans l’informatique, il importe de parler d’investissement réalisé par les entreprises de ce secteur, car cela devrait impacter par la suite sur les demandes de compétences de la part de ces entreprises. Ainsi, sur le plan mondial, les dépenses informatiques devraient connaitre une baisse annuelle de 2,7 % pour 2020. Le vice-président du programme du groupe IDC a ainsi affirmé : « Les dépenses informatiques mondiales diminueront en 2020, malgré la demande et l’utilisation accrues de certaines technologies et de certains services par les entreprises et les consommateurs ». Cela se concrétiserait en termes d’achats et projets mis en différé dans une approche extrêmement prudente vis-à-vis de l’évolution des affaires mondiales. Les plus importantes de ces baisses concerneront probablement les achats d’équipements tels que les PC et les tablettes et appareils mobiles (–8,8 %).
Les dépenses pour le serveur / stockage et le matériel réseau devraient également diminuer, car les entreprises vont certainement retarder leurs achats. Certes, les dépenses totales d’infrastructure augmenteront possiblement dans les prochains mois, mais toute cette croissance serait attribuée aux dépenses en infrastructure en tant que service (Infrastructure as a service) et en service de cloud. Désormais, la tendance observée notamment vers la fin de 2019 est la baisse du marché des infrastructures informatiques non-cloud (–4,6 %) contre une hausse des secteurs du cloud public (14,5 %) et du cloud privé (8,2 %).
Tout cela laisse entrevoir les profils que les entreprises du secteur informatique pourraient rechercher, sans toutefois oublier que c’est un secteur très élastique, très sensible à tout choc susceptible d’impacter sur les investissements (c’est-à-dire que le secteur répond avec peu de latence à tout choc de ce type, presque instantanément).
En tout état de cause, ces informations invitent à réfléchir, notamment sur l'emploi informatique en France en particulier. A ce sujet, ce que l'on peut voir, c'est que malgré la crise, la rubrique emploi sur developpez.com continue d'enregistrer de nouvelles offres d'emploi pour le secteur informatique. Cela voudrait-il dire que le contexte français n'est pas vraiment éloigné de celui outre-Atlantique ? Est-ce que les informaticiens français ont évolué dans des circonstances similaires et avec les mêmes expériences que leurs homologues américains ? Ils ont certainement leurs mots à dire sur ce point.
Sources : BLS, CIO, Vox, IDC
Et vous ?
Qu'en pensez-vous ?
Personnellement, avez-vous gardé votre emploi malgré la crise ? Vos clients ?
Étiez-vous déjà en télétravail avant le confinement ou êtes-vous passé en télétravail à cause juste de cela ?
Pensez-vous que votre entreprise va revoir ses plans pour pérenniser l'emploi en télétravail même après le déconfinement ?
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