L'ingénierie logicielle est considérée depuis de nombreuses décennies comme l'un des refuges les plus sûrs sur le marché de l'emploi américain, fragile et en constante évolution. Mais il semble que la donne est en train de changer, des signes indiquant que ce domaine commence à devenir un peu moins sûr et confortable. Ce constat serait dû à un ralentissement de l'industrie dans son ensemble et de la menace imminente de l'IA, qui stimule une concurrence croissante pour les emplois du secteur. Un récent sondage réalisé pour le compte de Motherboard par Blind, une plateforme anonyme en ligne pour les employés vérifiés, donne un aperçu de la situation.
Le sondage a été réalisé auprès de 9 338 ingénieurs logiciels. D'après les conclusions, près de neuf ingénieurs en informatique sur dix affirment qu'il est plus difficile de trouver un emploi aujourd'hui qu'avant la pandémie, 66 % d'entre eux estimant que cela est "beaucoup plus difficile". Près de 80 % des répondants ont déclaré que le marché de l'emploi était même devenu plus compétitif en 2023. En outre, seuls 6 % des ingénieurs en informatique sont "extrêmement confiants" dans leur capacité à trouver un autre emploi avec la même rémunération totale s'ils perdent leur emploi aujourd'hui, tandis que 32 % ont déclaré qu'ils ne sont pas "du tout confiants".
Ce scepticisme serait lié au nombre important de talents dans le domaine. Les ingénieurs logiciels débutants de Google gagneraient près de 200 000 dollars par an et vivraient une vie pleine d'avantages, et les ingénieurs semblaient toujours très demandés, ce qui signifiait que le prochain emploi n'était jamais difficile à trouver. Cette sécurité financière qu'ils promettaient a poussé de nombreuses personnes à obtenir un diplôme d'informatique et les camps d'entraînement au codage ont explosé en popularité ces deux dernières décennies. Des travailleurs d'autres domaines ont même quitté leurs emplois et se sont reconvertis dans le développement de logiciel.
Cela aurait donné lieu à une concurrence féroce sur le marché de l'emploi. « La concurrence est insensée », affirme Joe Forzano, un ingénieur logiciel au chômage qui a travaillé pour Alma, une startup spécialisée dans la santé mentale, et pour Blackstone, le géant de l'investissement en capital-risque. Depuis qu'il a perdu son emploi en mars, Forzano aurait postulé à plus de 250 emplois. Dans six cas, il aurait passé entre six et huit entretiens chacun, avant d'apprendre qu'il n'avait pas été retenu. « Cela a été très, très dur », a-t-il déclaré. Forzano s'était dit qu'avec un diplôme d'ingénieur informatique, il vivrait une vie bien épanouie, mais il a changé d'avis.
Selon son témoignage, au début des années 2010, alors qu'il était étudiant à l'université de Pennsylvanie, Forzano avait décidé de se spécialiser en informatique et aurait contracté une dette de 180 000 dollars. Il considérait que c'était un pari calculé sur un domaine d'activité solide. Au début de sa carrière, cela semblait vrai. Les recruteurs l'ont inondé d'opportunités et il a pu facilement passer d'un emploi à l'autre et devenir manager. Le domaine se sentait si sûr que l'expression "apprends à coder" est devenue une réplique moqueuse chaque fois que des personnes d'autres domaines s'inquiétaient en ligne de leurs propres perspectives d'emploi.
Cela dit, les messages des recruteurs se seraient largement taris depuis la pandémie, et il est devenu beaucoup plus difficile d'obtenir le type d'emploi que les ingénieurs en informatique considéraient comme acquis. « Il y a tellement de concurrence, merde. Le paysage est complètement différent », a déclaré Forzano. En repensant à sa décision de se spécialiser en informatique lorsqu'il était étudiant, il affirme qu'il se sent maintenant "très naïf". Il est important de noter que les résultats de cette enquête contrastent avec les rapports selon lesquels il y a une pénurie de talents dans le secteur et que les entreprises s'arrachaient les talents disponibles.
L'année dernière, une enquête réalisée par le cabinet Reveal Infragistics auprès de plus de 2 200 développeurs de logiciels et professionnels de l'informatique a révélé que la pénurie de talents reste le principal défi pour les développeurs. Selon le rapport, près de la moitié du temps d'un développeur (43,4 %) est consacré au codage d'une application. Les trois quarts (76,8 %) des entreprises tentent de résoudre le problème de la pénurie de développeurs qualifiés en se tournant vers des outils no-code ou low-code. Certains rapports suggèrent que ces outils, dont la popularité est grandissante, pourraient représenter une bonne partie du code écrit à l'avenir.
« Le secteur continue à avoir du mal à pourvoir les postes de développeurs de logiciels qualifiés, alors que nous sommes en pleine course à la numérisation du monde des affaires. Les organisations se tournent vers de nouvelles solutions telles que les outils low-code/no-code qui ne nécessitent que peu ou pas de codage manuel initial pour pallier le manque de compétences, résoudre les problèmes et économiser de l'argent », a déclaré Casey McGuigan, responsable des produits Reveal et Slingshot chez Infragistics. Pourtant, Motherboard et Blind rapportent que les ingénieurs logiciels ont du mal à trouver un emploi en raison d'une forte concurrence.
Selon le sondage, l'autre raison qui pourrait expliquer la difficulté des ingénieurs à trouver du travail est l'avènement de l'IA générative, en particulier des programmes permettant aux utilisateurs de générer du code en rédigeant de simples messages en langage naturel. Le PDG de Google, Sundar Pichai, a déclaré l'année dernière que les outils de codage pilotés par l'IA avaient réduit de 6 % le temps nécessaire aux travailleurs pour terminer un code. De nombreux rapports parus au cours des deux dernières listent les programmeurs informatiques parmi les emplois susceptibles d'être remplacés par l'IA. Il y a néanmoins un grand débat autour de la question.
Il est apparu l'année dernière qu'OpenAI, le créateur de ChatGPT, entraîne son IA pour remplacer les programmeurs humains. « À l'ère de l'IA, l'informatique n'est plus la spécialité sûre », note un critique. Matt Welsh, un entrepreneur qui a été professeur d'informatique à Harvard, estime que la capacité de l'IA à exécuter des fonctions d'ingénierie logicielle pourrait entraîner une diminution de la sécurité de l'emploi et une baisse des rémunérations pour tous les professionnels du secteur, à l'exception des meilleurs d'entre eux. Cependant, un critique a répondu en affirmant : « même les meilleurs ingénieurs seront précieux jusqu'à ce qu'ils ne le soient plus ».
En décembre, les ingénieurs en informatique n'exprimaient pas beaucoup d'inquiétude quant à la possibilité que l'IA rende leur travail superflu. Seuls 28 % d'entre eux se disaient "très" ou "légèrement" inquiets dans le sondage Blind, et 72 % se disaient "pas vraiment" ou "pas du tout" inquiets. Toutefois, lorsqu'ils ne considèrent pas leur propre situation, les ingénieurs en informatique se montrent nettement moins optimistes à l'égard de l'IA. Plus de 60 % des répondants affirment qu'ils pensaient que leur entreprise embaucherait moins de personnes à cause de l'IA à l'avenir. « Nous nous demandons tous ce qui se passe, bordel », a déclaré Forzano.
D'autres rapports vont toutefois dans le sens contraire, affirmant qu'il est peu probable que l'IA remplace les programmeurs humains. Selon certaines prédictions, l'IA pourrait changer l'ingénierie logicielle telle que nous l'avons connue jusqu'ici, mais ne remplacera pas les programmeurs humains. Les changements apportés par l'IA pourraient se traduire à l'avenir par un gain de productivité pour les programmeurs et la réduction de la technique des entreprises. En outre, de nombreux critiques affirment également que l'IA n'est pas une menace crédible pour les développeurs. Selon eux, l'IA rallonge même les temps de développement des produits.
« ChatGPT et ses semblables écrivent au mieux un code médiocre et bogué qui ne prend pas en compte les cas de figure. Ce n'est pas une menace pour un développeur professionnel. La situation est encore pire lorsqu'il s'agit de résoudre ou de coder des problèmes nécessitant une modélisation mathématique, y compris des problèmes scientifiques. Il existe des vidéos YouTube hilarantes de tous les errements de nos systèmes d'aide à la décision supposés être les meilleurs. Les gens surestiment grossièrement les capacités de l'IA à mon avis. Il s'agit surtout d'un battage médiatique visant à attirer des investisseurs », a écrit un critique.
Ces critiques expliquent le constat fait par le sondage par le fait que les entreprises ne disposent pas d'assez de capitaux pour recruter à l'excès comme cela a été le cas par le passé. « Les entreprises recrutaient à tour de bras lorsque les taux étaient au plus bas. Dès que la Fed a commencé à les relever, nous avons commencé à assister à des licenciements. Aujourd'hui, alors que les taux d'intérêt n'ont jamais été aussi élevés, il n'y a plus beaucoup d'ouvertures en raison de la difficulté à lever des capitaux », a écrit un critique. D'autres ont parlé de l'évolution de la fonction d'ingénieur logiciel qui ne limite plus au fait de savoir coder.
« Le codage vous permet d'entrer sur le marché du travail. C'est ironiquement la compétence la plus basse. Connaître 10 langages et 10 jeux d'outils, Docker et Vim ? Cela ne vaut pas grand-chose. La situation va empirer parce que les gens regardent ces Youtubeurs qui leur disent qu'ils peuvent se faire un salaire à 6 chiffres avec quelques certificats et un projet GitHub insipide qui est un clone d'une application populaire du mois. Le véritable ensemble de compétences d'un ingénieur logiciel au niveau senior et supérieur est : la communication, l'analyse technique, la conception, la livraison, la fiabilité, partage de connaissance », a écrit un critique.
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Que pensez-vous des difficultés des ingénieurs logiciels à trouver du travail aux États-Unis ?
Selon vous, ce sondage est-il représentatif de la situation réelle des ingénieurs logiciels aux États-Unis ?
Que pensez-vous des rapports faisant état d'une pénurie de talents dans le domaine de l'ingénierie logicielle ?
Selon vous, qu'est-ce qui pourrait expliquer les difficultés des ingénieurs logiciels à trouver du travail aux États-Unis ?
Le faible taux d'embauche des ingénieurs est-il lié à la hausse des taux d'intérêt comme certains le suggèrent ?
L'IA et les outils low-code/no-code ont-ils un impact quelconque sur la baisse du recrutement des ingénieurs logiciels ?
Selon vous, l'IA va-t-elle remplacer les programmeurs ou simplement redéfinir la fonction d'ingénieur logiciel à l'avenir ?
Quid du marché français de l'emploi ? Avez-vous une idée de l'évolution du taux d'embauche des ingénieurs logiciels ?
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