La récente annonce par McKinsey & Company de son intention de réduire ses effectifs d'environ 10 % a provoqué une onde de choc dans le monde du conseil, relançant le débat sur l'avenir du secteur. Une situation qui illustre un changement irréversible dans la manière dont la valeur est créée dans le secteur du conseil.En effet, l'entreprise a connu la croissance et la prospérité à une époque où l'information était rare. Même les informations de base sur le marché nécessitaient des équipes importantes travaillant pendant des mois pour collecter et synthétiser les données. L'ère numérique a entraîné une explosion des données et démocratisé leur accès, et McKinsey s'est à nouveau adapté en étendant ses capacités à l'analyse avancée et à la transformation technologique.
Cet avantage est aujourd'hui remis en question à l'ère de l'IA.
Si l'ère numérique a réduit l'asymétrie de l'information, l'ère de l'IA va encore plus loin. Elle uniformise de plus en plus les capacités d'analyse et de recommandation. Des entreprises comme McKinsey se sont forgé un puissant avantage concurrentiel en recrutant les meilleurs analystes issus des meilleures universités, excellant dans la synthèse de données, la résolution de problèmes à partir des principes fondamentaux et la traduction des connaissances en recommandations. À l'ère de l'IA, cependant, cet avantage est en train de se banaliser.
Cette évolution s'inscrit dans le cadre d'une transformation plus large du travail des cols blancs. Contrairement aux hypothèses initiales, l'IA a plus d'impact sur le travail intellectuel que sur les emplois manuels. Les emplois hautement cognitifs et déjà numérisés sont particulièrement vulnérables.
Le conseil se trouve en plein cœur de cette zone de disruption. Alors que le modèle traditionnel du conseil est soumis à une pression croissante, la prime pour les talents de demain ne reposera plus uniquement sur la puissance analytique.
L’IA générative, concurrent silencieux mais redoutable
L’intelligence artificielle n’est plus cantonnée à l’automatisation de tâches administratives ou à l’optimisation de processus IT. Elle pénètre désormais le cœur du métier du conseil. Analyse de marché, benchmarks sectoriels, modélisations financières, structuration de problématiques complexes, production de livrables exécutifs : autant de domaines où l’IA offre aujourd’hui des résultats rapides, cohérents et à faible coût.
Cette évolution crée un effet de ciseau pour les cabinets. D’un côté, les clients s’équipent eux-mêmes d’outils capables de produire une grande partie des analyses autrefois externalisées. De l’autre, maintenir de larges équipes de consultants généralistes devient économiquement moins justifiable. Les licenciements apparaissent alors comme une réponse défensive à une pression structurelle sur la valeur ajoutée.
Des clients plus autonomes, plus exigeants, moins patients
L’un des angles morts du débat public sur le conseil est la transformation silencieuse des clients. Les directions générales, les directions financières et les directions stratégiques se sont massivement outillées en solutions d’IA. Elles arrivent désormais en mission avec des analyses préliminaires déjà très abouties, des hypothèses structurées et parfois même des recommandations alternatives.
Dans ce contexte, payer plusieurs centaines de milliers d’euros pour une mission exploratoire devient difficile à justifier. Les clients attendent autre chose : de la prise de risque intellectuelle, une capacité à arbitrer dans l’incertitude, un regard politique sur l’organisation, bref, tout ce que l’IA ne fait pas encore bien.
Cette évolution réduit mécaniquement la demande pour certaines missions standardisées, historiquement très lucratives pour les grands cabinets. Les licenciements sont alors moins une sanction qu’une adaptation à une nouvelle réalité de marché.
Le besoin en services de conseil ne disparaît pas, mais la source de valeur évolue de manière décisive
Traditionnellement, des cabinets tels que McKinsey, BCG et Bain (MBB) occupaient le sommet de la chaîne de valeur du conseil grâce à leur travail stratégique à forte valeur ajoutée. Au fil des ans, McKinsey a investi massivement dans le développement de technologies et de capacités d'exécution, mais des défis structurels subsistent. En revanche, des cabinets axés sur l'exécution tels que Deloitte, EY et Accenture, construits avec un ADN différent, ont su combiner plus naturellement le conseil avec la technologie et l'exécution à grande échelle.
Les chiffres de croissance parlent d'eux-mêmes. Alors que les cabinets MBB ont enregistré une croissance plus lente, avec un taux de croissance annuel composé moyen d'environ 5 à 6 %, les cabinets axés sur la mise en œuvre tels qu'Accenture, Deloitte et EY ont connu une croissance d'environ 11 à 12 % ces dernières années (croissance moyenne estimée sur la base des revenus provenant des sites web des entreprises, des rapports annuels, des communiqués de presse et des rapports d'analystes), reflétant l'orientation des dépenses des clients.
Historiquement, la stratégie était considérée comme l'activité la plus importante, tandis que l'exécution était traitée comme une activité secondaire, essentiellement organisationnelle et opérationnelle. À l'ère du numérique et de l'IA, l'exécution est profondément axée sur la technologie, et la stratégie et l'exécution ne sont plus séquentielles, mais itératives et continues. De simple catalyseur, la technologie est devenue le principal moteur de la stratégie et de l'exécution.
Les clients recherchent de plus en plus des partenaires capables de faire le lien entre la stratégie, la technologie et les opérations, et de mettre en œuvre des changements à grande échelle. Les cabinets de conseil, y compris les Big Four, ont réagi en remodelant leurs modèles de gestion des talents et d'exploitation autour de la mise en œuvre à grande échelle et de la transformation organisationnelle.
La bataille de la pertinence à l'ère de l'IA : où se situe McKinsey ?
La question clé est désormais la suivante : qui sortira vainqueur de ce nouveau paysage du conseil ? Alors que le centre de gravité se déplace vers la profondeur d'exécution et la capacité à conduire un changement continu, le succès dépendra de l'efficacité avec laquelle les entreprises réorganiseront leur ADN, en mettant en place le modèle opérationnel et le moteur de talents nécessaires pour mettre en œuvre et déployer à grande échelle une transformation axée sur la technologie.
Si la stratégie reste essentielle à l'ère de l'IA, elle exige toutefois un niveau d'exigence plus élevé. À mesure que l'IA prend le relais pour l'analyse et les recommandations, l'avantage stratégique passe de la résolution de problèmes à la compréhension, des humains « dans la boucle » aux humains « au-dessus de la boucle ».
Nitin Seth, PDG d'Incedo et ancien directeur du Global Knowledge Centre de McKinsey, y va de sa propre analyse :
« Je parie que deux types d'entreprises sont les mieux placées pour gagner. Premièrement, il y a des entreprises comme Accenture, Deloitte et EY, qui ont développé de solides capacités d'exécution et ont réussi à renforcer leurs bases...
La fin de cet article est réservée aux abonnés. Soutenez le Club Developpez.com en prenant un abonnement pour que nous puissions continuer à vous proposer des publications.

L’IA est-elle en train de rendre obsolète le modèle économique traditionnel des cabinets de conseil ?