On leur avait promis un avenir radieux. Pendant des années, les leaders de la Silicon Valley, relayés par les écoles et les médias, ont martelé aux jeunes Américains : « Apprenez à coder, et votre futur sera assuré. » Pourtant, en 2025, des milliers de diplômés en informatique se retrouvent sans emploi, désemparés face à un marché saturé et à l’irruption de l’intelligence artificielle qui bouleverse le métier même de développeur. Derrière le rêve du « golden ticket », c’est une désillusion nationale qui se dessine.À l'occasion du podcast The Daily, les journalistes du New-York Times sont revenus sur un sujet d'actualités qui perturbe : le chômage galopant de la génération Z. L'informatique, pourtant l'une des filières les plus populaires, connaît à l'ère de l'IA l'un des taux de chômage les plus élevés chez les jeunes diplômés.
Et Michael Barbaro d'introduire le sujet : « Au cours de la dernière décennie, un message simple a été transmis à toute une génération d'étudiants américains : si vous apprenez à coder et obtenez un diplôme en informatique, vous trouverez un emploi avec un salaire à six chiffres. Mais comme l'a découvert ma collègue Natasha Singer, des milliers d'étudiants qui ont suivi ce conseil se rendent compte aujourd'hui que cette promesse était vaine. »
Au début des années 2010, les géants du numérique tirent la sonnette d’alarme. Eric Schmidt, alors président exécutif de Google, ou Brad Smith chez Microsoft, affirment que les États-Unis risquent de perdre leur suprématie technologique face à l’Asie s’ils ne forment pas massivement de nouveaux programmeurs. Le discours est clair : apprendre à coder, c’est accéder à une carrière prestigieuse, bien rémunérée, et indispensable à l’avenir du pays.
Pour populariser ce message, les entreprises s’appuient sur des campagnes spectaculaires. L’association code.org, fondée par Hadi Partovi en 2013, devient la vitrine de ce mouvement. Ses vidéos, portées par Bill Gates, Mark Zuckerberg et d’autres icônes, sont vues par des millions d’élèves. Son initiative Hour of Code, où des millions d’écoliers réalisent simultanément un exercice de programmation, transforme le codage en phénomène culturel. Très vite, les États américains modifient leurs programmes scolaires : la programmation devient une matière centrale, plus un simple choix optionnel.
Le résultat est impressionnant : en 2023, près de 170 000 étudiants suivent une formation universitaire en informatique, soit trois fois plus qu’en 2012. Le pari de la Silicon Valley semble gagné.
Une réalité brutale pour les diplômés
Mais cette expansion ne se traduit pas par l’embauche massive promise. Au contraire, selon la Réserve fédérale de New York, les jeunes diplômés en informatique et en génie logiciel affichent désormais des taux de chômage deux fois supérieurs à ceux des diplômés en biologie. Une absurdité apparente : ceux qui se sont formés dans « la discipline de l’avenir » peinent plus que les autres à décrocher un emploi stable.
Selon un rapport de la Banque fédérale de réserve de New York, parmi les diplômés universitaires âgés de 22 à 27 ans, les étudiants en informatique et en génie informatique connaissent les taux de chômage les plus élevés, respectivement 6,1 % et 7,5 %. Ce taux est plus de deux fois supérieur à celui des diplômés récents en biologie et en histoire de l'art, qui n'est que de 3 %.
« Je suis très inquiet », a déclaré Jeff Forbes, ancien directeur de programme pour l'enseignement de l'informatique et le développement de la main-d'œuvre à la National Science Foundation. « Les étudiants en informatique qui ont obtenu leur diplôme il y a trois ou quatre ans auraient dû repousser les offres des meilleures entreprises, alors qu'aujourd'hui, ces mêmes étudiants ont du mal à trouver un emploi, quel qu'il soit. »
Derrière les chiffres, les témoignages sont édifiants. En réponse aux questions du New York Times, plus de 150 étudiants et jeunes diplômés — issus d'établissements publics tels que les universités du Maryland, du Texas et de Washington, ainsi que d'universités privées comme Cornell et Stanford — ont partagé leurs expériences. Certains ont déclaré avoir postulé à des centaines, voire des milliers, d'emplois dans le secteur technologique auprès d'entreprises, d'organisations à but non lucratif et d'agences gouvernementales. D’autres, faute d’opportunités, se résignent à travailler dans la restauration rapide, la grande distribution ou à retourner vivre chez leurs parents. Le fameux « six-figure salary » (salaire à six chiffres) promis par les vidéos promotionnelles s’est transformé en « tarnished ticket » : un diplôme prestigieux qui n’ouvre plus aucune porte.
Résultats sur le marché du travail des diplômés de l'enseignement supérieur par spécialité (du taux de chômage le plus élevé vers le moins élevé)
« Je viens d'obtenir mon diplôme en informatique, et la seule entreprise qui m'a contactée pour un entretien est Chipotle »
Ayant grandi près de la Silicon Valley, Manasi Mishra se souvient avoir vu des dirigeants du secteur technologique inciter les étudiants à étudier la programmation informatique sur les réseaux sociaux. « Le discours était le suivant : si vous apprenez à coder, travaillez dur et obtenez un diplôme en informatique, vous pouvez prétendre à un salaire de départ à six chiffres », se souvient Mishra, aujourd'hui âgée de 21 ans, qui a grandi à San Ramon, en Californie.
Ces promesses en or de l'industrie ont incité Mishra à coder son premier site web à l'école primaire, à suivre des cours d'informatique avancés au lycée et à se spécialiser en informatique à l'université. Mais après un an de recherche d'emplois et de stages dans le domaine technologique, Mishra a obtenu son diplôme de l'université Purdue en mai sans avoir reçu d'offre.
« Je viens d'obtenir mon diplôme en informatique, et la seule entreprise qui m'a contactée pour un entretien est Chipotle », a déclaré Mishra dans une vidéo TikTok intitulée « Get Ready With Me » (Préparez-vous avec moi) publiée cet été, qui a depuis été visionnée plus de 147 000 fois.
Les raisons d’un échec annoncé
Plusieurs dynamiques se superposent et expliquent cette crise.
Des critères d’embauche exclusifs. Les grandes entreprises, qui ont encouragé les jeunes à apprendre à coder, n’ouvrent en réalité leurs portes qu’à une élite. Les tests techniques complexes, les stages valorisés et les projets personnels demandés comme critères de recrutement favorisent les étudiants issus de milieux aisés, capables de consacrer temps et ressources à l’apprentissage hors cadre scolaire.
Le surrecrutement pandémique. Pendant la crise sanitaire, les géants de la tech ont embauché à tour de bras pour répondre à l’explosion des usages numériques. À partir de 2022, le retournement économique a conduit à des vagues massives de licenciements, gelant de facto l’entrée de nouveaux talents.
La concurrence internationale. Les visas H-1B, qui permettent aux entreprises américaines de recruter des travailleurs étrangers à moindre coût dans des emplois spécialisés (souvent liés aux STEM — sciences, technologie, ingénierie, mathématiques), ont accentué la pression sur les jeunes diplômés locaux, réduisant leurs chances d’insertion. Donald Trump tente d'obliger les entreprises technologiques à favoriser les emplois locaux en ajoutant des frais de 100 000 USD par année pour chaque visa H-1B. Mais plusieurs experts se montrent sceptiques face à cette approche : ils avertissent que les nouveaux frais de visa nuiront aux entreprises et rendront les États-Unis moins compétitifs dans les domaines de la science, de la technologie, de l'ingénierie et de la médecine, à un moment où le pays ne peut pas se permettre de prendre du retard. Les entreprises pourraient massivement délocaliser vers des pays comme l'Inde ou le Mexique.
La révolution de l’intelligence artificielle. Enfin, le facteur décisif est l’automatisation croissante. Les outils comme GitHub Copilot ou Claude Code d’Anthropic peuvent désormais générer du code fonctionnel en quelques secondes. Là où un junior servait de renfort pour des tâches répétitives, l’IA prend désormais le relais. Salesforce a déjà licencié des milliers d’agents de support, et les départements de développement réduisent leurs embauches de débutants.
Nathan Spencer, symbole d’une génération sacrifiée
L’introduction massive de l’IA dans le processus de développement ne supprime pas seulement des postes : elle redéfinit les contours du métier. Là où l’étudiant apprenait à créer un programme de A à Z, il lui est désormais demandé de vérifier, corriger et orienter du code produit par une machine. Une analogie résume bien cette frustration : « Former une génération à cuisiner des plats raffinés, puis leur demander de vérifier des gâteaux en poudre. »
Pour beaucoup, cette mutation retire l’essence même de la programmation : le plaisir de créer, d’innover, de bâtir quelque chose de concret. Ce glissement vers un rôle de supervision fragilise l’attractivité du métier, en particulier chez ceux qui s’étaient tournés vers l’informatique par passion autant que par intérêt économique.
L’histoire de Nathan Spencer, jeune...
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