
chez Shopify, Amazon et Microsoft
Les chefs d'entreprise disent publiquement que l’IA n’est qu’un outil qui vise à aider les salariés à mieux travailler, à être plus productifs et à se concentrer sur des tâches plus intéressantes. Ce discours vise à rassurer le grand public et à montrer qu’ils n’ont pas l’intention de remplacer les humains. Mais dans les faits, l’IA est déjà utilisée pour supprimer de nombreux postes. Certains dirigeants expliquent à leurs actionnaires qu’ils pourront faire tourner l’entreprise avec beaucoup moins de personnel, car l’IA prend en charge une partie importante du travail. L'industrie technologique a licencié des centaines de milliers d'employés au cours des trois dernières années.
Le PDG d’Anthropic, Dario Amodei, a déclaré il y a peu que l’IA est susceptible d’éliminer la moitié des emplois en col blanc. Il a d’ailleurs ajouté à ce propos que « les éditeurs d'IA ont le devoir et l'obligation d'être honnêtes avec le grand public sur ce qui nous attend ». Cependant, la majorité des autres dirigeants de l'industrie se veulent rassurants sur le sujet, affirmant que l'IA n'est qu'un outil d'assistance destinée à soulager les salariés dans leur travail.
Christopher Myers, directeur du Center for Innovative Leadership de la Johns Hopkins Carey Business School, a déclaré : « si j'étais employé, je serais très frustré d'entendre mon supérieur dire : "non, nous ne savons toujours pas si cela aura un impact" ». Au contraire, Christopher Myers estime que les chefs d'entreprise ont tout intérêt à reconnaître que l'IA va « presque certainement » bouleverser tous les rôles et l'ensemble des organigrammes à l'avenir.
Ces dirigeants affirment publiquement que l’IA n’est qu’un outil conçu pour aider les salariés à accomplir leurs tâches plus efficacement, en éliminant les corvées répétitives et en augmentant la productivité. Cependant, en coulisses, l’IA sert à réduire massivement les effectifs. Les dirigeants font de plus en pression sur leurs employés pour adopter les outils d'IA et font comprendre aux travailleurs réfractaires qu'ils n'ont pas leur place au sein de l'entreprise.
Plus de 150 000 emplois ont été supprimés dans 549 entreprises en 2024. Depuis le début de cette année, plus de 22 000 travailleurs ont été victimes de réductions d'effectifs dans l'industrie. L'embauche de nouveaux talents a ralenti et celui de jeunes diplômés a chuté de 25 % en 2024. L'hécatombe de l'emploi se poursuit alors que l'IA générative et les agents d'IA redéfinissent les exigences de l'industrie et modifient les méthodes de travail classiques.
Andy Jassy d'Amazon : « nous aurons besoin de moins de personnel »
Dans un courriel récent à ses employés, Andy Jassy, PDG d'Amazon, a écrit : « le déploiement d'une IA plus générative et d'agents devrait modifier la façon dont nous travaillons. Nous aurons besoin de moins de personnes pour effectuer certaines tâches qui sont effectuées aujourd'hui. Notre effectif total devrait être réduit au fur et à mesure que nous obtenons des gains d'efficacité grâce à l'utilisation intensive de l'IA dans l'ensemble de l'entreprise ».
Cela signifie que dans un avenir proche, Amazon pourrait remplacer des centaines, voire des milliers, de travailleurs humains par des machines autonomes. En outre, il ne s'agit pas simplement d'automatiser les tâches banales ou répétitives. Il prépare les employés à un avenir où l'IA remplacera des catégories d'emplois entières et où le recrutement ralentira ou s'arrêtera complètement pour les fonctions que les machines d'IA peuvent désormais assumer.
Duolingo recrutera seulement si l'IA ne peut pas automatiser la tâche
Dans un mémo publié sur LinkedIn, le PDG de Duolingo, Luis von Ahn, a été encore plus direct : « la plupart des fonctions auront des initiatives spécifiques pour changer fondamentalement leur façon de travailler... Les effectifs ne seront accordés que si une équipe ne peut pas automatiser une plus grande partie de son travail ». Traduction : il n'y aura plus d'embauche à moins qu'il soit prouvé que « l'IA est incapable d'accomplir le travail en question ».
La plateforme d'apprentissage de langue est convaincue que la plupart des équipes auront bientôt besoin de moins de travailleurs humains. Duolingo prend à fond le virage de l'IA et le PDG Luis von Ahn a annoncé en avril dernier que l'entreprise va remplacer ses travailleurs contractuels par l'IA.
Certains utilisateurs de Duolingo ont déclaré que l'entreprise chasse ses employés au profit de l'IA. Plus tard, Luis von Ahn a écrit sur LinkedIn que l'une des choses les plus importantes que les dirigeants puissent faire est d'apporter de la clarté. Dans son message, il a déclaré que même s'il ne sait pas exactement ce qui va se passer avec l'IA, « celle-ci va changer fondamentalement notre façon de travailler, et que nous devons prendre les devants ».
Shopify : « demandez-vous pourquoi l'IA ne peut pas faire ce travail »
Le PDG de Shopify, Tobi Lütke, a écrit : « avant de demander plus d'effectifs et de ressources, les équipes doivent démontrer pourquoi elles ne peuvent pas faire ce qu'elles veulent avec l'IA... À quoi ressemblerait ce domaine si des agents autonomes de l'IA faisaient déjà partie de l'équipe ? ». Il demande aux managers de réimaginer les équipes comme si les agents d'IA étaient déjà intégrés, et de justifier pourquoi les humains sont encore nécessaires.
Le message est clair : les employés sont désormais le dernier recours. Le nouveau choix par défaut est l'IA. Le PDG de Salesforce, Marc Benioff, a récemment déclaré que l'IA effectue déjà 50 % du travail au sein de son entreprise, peu avant d'annoncer 1 000 suppressions d'emplois supplémentaires. Le PDG de Klarna, une grande entreprise de fintech, a été encore plus direct, révélant que l'IA a déjà permis à l'entreprise de réduire ses effectifs de 40 %.
Dans ses perspectives annuelles sur l'avenir de l'emploi, le Forum économique mondial a écrit en janvier 2025 que parmi les quelque 1 000 employeurs interrogés dans le monde, environ 41 % ont déclaré qu'ils prévoient de réduire leurs effectifs à mesure que l'IA prendra en charge certaines tâches.
Les travailleurs de la technologie perdent le pouvoir face à l'IA
L'essor de l'IA générative permet aux entreprises d'automatiser des tâches et de rationaliser les opérations. Amazon prévoit de réduire son effectif au cours des prochaines années en raison de « l'efficacité accrue » permise par l'IA. Des entreprises comme Shopify et Duolingo ont indiqué que les futures embauches dépendraient de la possibilité d'automatiser les tâches, bien que certaines entreprises font marche arrière dans leur stratégie en matière d'IA.
En avril, la plateforme d'apprentissage Duolingo a annoncé qu'elle va remplacer ses travailleurs contractuels par l'IA. Le PDG a informé que le recrutement ne se fera que si une équipe ne peut pas automatiser une plus grande partie de son travail. Mais il a adouci son message après le tollé suscité par sa note de service sur les réseaux sociaux, précisant que son entreprise continue à recruter au même rythme qu'auparavant.
De nombreuses entreprises s'orientent vers l'utilisation des agents d'IA, c'est-à-dire des robots autonomes capables de prendre des décisions et d'accomplir des tâches à la place des humains, comme payer une facture ou réacheminer des stocks si une catastrophe naturelle perturbe un itinéraire de transport routier. Ainsi, Walmart déploierait de tels agents d'IA afin de réduire jusqu'à 18 semaines le délai de production de ses vêtements en interne.
Le secteur est frappé par ce que les experts appellent la « Grande Hésitation ». Ce phénomène succède à la « Grande Démission » et se caractérise par une prudence accrue des entreprises en matière d'embauche, exacerbée par l'incertitude économique et l'essor de l'IA. Les entreprises prolongent leurs processus d'embauche, font appel à des travailleurs contractuels ou attendent les candidats qui remplissent toutes les conditions, et même plus.
Selon Global Work AI, des « spécialistes qualifiés » recherchent activement des emplois non qualifiés, notamment dans les domaines de la saisie de données, du service client et de l'assistanat, même si 62,75 % des demandeurs d'emploi ont suivi des études supérieures. Ils sont en concurrence avec l'IA pour ces postes.
Quelques chiffres de l'hécatombe de l'emploi dans la technologie
Cette tendance à la réduction des effectifs bouleverse le cycle habituel d'embauche et de licenciement. Les entreprises licencient souvent en période de récession, puis recrutent à nouveau lorsque l'économie redémarre. Pourtant, les réductions d'effectifs de ces dernières années coïncident avec une forte augmentation des ventes et des bénéfices, annonçant un changement plus fondamental dans la manière dont les dirigeants évaluent leur personnel.
Selon la Banque fédérale de réserve de Saint-Louis, les bénéfices des entreprises américaines ont atteint un niveau record fin 2024. Au total, environ une entreprise du S&P 500 sur cinq compte aujourd'hui moins d'employés et sur le terrain qu'il y a dix ans. Voici quelques chiffres des licenciements en 2025 :
Juin 2025
- Intel a annoncé qu'il prévoit de licencier 15 à 20 % des travailleurs de sa division Intel Foundry à partir du mois de juillet 2025. Intel Foundry conçoit, fabrique et emballe des semiconducteurs pour des clients externes. L'effectif total d'Intel s'élevait à 108 900 personnes en décembre 2024, selon la déclaration annuelle de l'entreprise ;
- Playtika a annoncé le licenciement d'environ 90 employés, dont 40 en Israël et 50 en Pologne. La dernière série de suppressions d'emplois intervient après que la société de jeux basée en Israël a licencié 50 employés il y a quelques semaines ;
- Airtime s'est séparé d'environ 25 employés sur une équipe de 58 personnes, a confirmé la société à TechCrunch. Phil Libin, fondateur d'Evernote, a lancé la startup vidéo en 2020, proposant Airtime Creator et Airtime Camera ;
- Microsoft licencie de nouveaux employés, quelques semaines seulement après avoir annoncé une réduction de plus de 6 000 emplois en mai, ce qui représentait environ 3 % de ses effectifs mondiaux. Les licenciements les plus récents concernent des ingénieurs logiciels, des chefs de produit, des responsables de programmes techniques, des spécialistes du marketing et des conseillers juridiques.
Mai 2025
- Amazon aurait licencié une centaine d'employés de sa division « appareils et services », qui englobe diverses activités telles que l'assistant vocal Alexa, les haut-parleurs intelligents Echo, les sonnettes vidéo Ring et les robotaxis Zoox. L'entreprise a réduit ses effectifs d'environ 27 000 personnes depuis le début de l'année 2022 afin de réduire ses coûts ;
- Microsoft a supprimé plus de 6 000 emplois, soit 3 % de sa main-d'œuvre mondiale. En juin 2024, la société basée à Seattle comptait 228 000 employés dans le monde. Il s'agirait de l'un des licenciements les plus importants de l'entreprise depuis la suppression de 10 000 postes en 2023 ;
- Chegg s'est séparé de 248 employés, soit environ 22 % de ses effectifs, afin de réduire ses dépenses et d'améliorer son efficacité. La startup edtech basée à San Francisco, qui propose la location de manuels scolaires et des services de tutorat, a vu son trafic Web chuter depuis des mois, les étudiants optant pour des outils d'IA plutôt que pour les plateformes edtech traditionnelles ;
- CrowdStrike a licencié 5 % de ses effectifs mondiaux, soit environ 500 personnes. La société a déclaré que ces licenciements s'inscrivaient dans le cadre d'un « plan stratégique visant à faire évoluer ses opérations afin de gagner en efficacité », alors que la société continue à développer ses activités avec concentration et discipline pour atteindre son objectif de 10 milliards de dollars en fin d'année [revenus annuels récurrents], dans son rapport 8-K ;
- Deep Instinct a réduit ses effectifs de 20 personnes, ce qui représente 10 % de sa main-d'œuvre totale. En avril 2023, la startup israélienne de cybersécurité avait déjà licencié un nombre similaire d'employés lors d'une série de licenciements.
Avril 2025
- NetApp a supprimé 700 emplois, soit 6 % de son effectif total, dans le cadre d'une réorganisation visant à améliorer son efficacité opérationnelle. L'entreprise, basée à San Francisco, propose aux entreprises des solutions de stockage de données, des services cloud et des solutions CloudOps ;
- Electronic Arts a supprimé environ 300 à 400 employés, dont une centaine chez Respawn Entertainment, pour se concentrer sur ses « priorités stratégiques à long terme » ;
- Expedia a licencié environ 3 % de ses employés dans le cadre de sa restructuration. Les suppressions d'emplois concerneront principalement des postes de niveau intermédiaire au sein des équipes chargées des produits et de la technologie. Cette dernière série de licenciements intervient après que l'entreprise a licencié des centaines d'employés de son équipe marketing au niveau mondial au début du mois de mars ;
- Cars24 a réduit ses effectifs d'environ 200 personnes dans ses divisions produit et technologie dans le cadre d'une mesure de restructuration. La plateforme de commerce électronique pour véhicules d'occasion, basée en Inde, propose une gamme de services tels que l'achat et la vente de voitures d'occasion, le financement, l'assurance, le conducteur à la demande, et bien plus encore. En 2023, la startup soutenue par SoftBank a levé 450 millions de dollars pour une valorisation de 3,3 milliards de dollars ;
- Meta a supprimé plus de 100 emplois de sa division Reality Labs, qui gère la réalité virtuelle et la technologie vestimentaire. Les suppressions d'emplois concernent les employés qui développent des expériences de réalité virtuelle pour les casques Quest de Meta et le personnel qui travaille sur les opérations matérielles afin de rationaliser le travail similaire entre les deux équipes ;
- Google a licencié des centaines d'employés dans sa division plateformes et appareils, qui couvre Android, les téléphones Pixel, le navigateur Chrome, et plus encore ;
- Automattic, le développeur de WordPress.com, a licencié 16 % de ses effectifs dans tous les services. Avant les licenciements, le site Web de l'entreprise indiquait qu'elle comptait 1 744 employés, ce qui signifie que plus de 270 personnes pourraient avoir été licenciées ;
- etc.
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