Les billets pour cet événement de quatre jours, qui s'est déroulé à Orlando (Floride) la semaine dernière, allaient de 649 à 1298 dollars et donnaient la possibilité de rencontrer en tête-à-tête des sponsors tels qu'Apple, Amazon, Salesforce et Google. Dans des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux on voit des scènes où des hommes se pressent autour des recruteurs, courent dans les salles d’exposition et se faufilent devant les femmes pour obtenir un entretien d’embauche. Une situation qui n’a pas manqué de susciter l’indignation des femmes et de manière plus générale des associations de défense de leurs droits.
Une ancienne Lead tech de Google explique pourquoi c’est une erreur de porter des projets tels que la Grace Hopper Celebration
Vidya Narayanan est cofondatrice d'une startup, mais est passée par des grandes entreprises de la tech comme Qualcomm et Google. Chez Google, où elle était juste avant d'aller créer sa startup, Vidya Narayanan était Lead Tech. Elle a donc dirigé des projets d'ingénierie à la tête d'équipes de 20-30 hommes, des ingénieurs notamment. Contrairement à la directrice générale de YouTube, Vidya s’est attaquée à l’approche qu’ont les gens de la diversité, en expliquant que cela la « rend malade ».
essayer de recruter plus de femmes dans la tech pour corriger les problèmes d’inégalités ne peut qu’empirer la situation. Pour expliquer cela, elle partage trois expériences différentes qu’elle a vécues. La première était chez Google. « Au cours des recrutements que j'ai faits chez Google, 97 % des personnes que j'ai embauchées étaient des hommes », dit-elle. Et de préciser : « Ce n'est pas comme si je n'essayais pas d'embaucher des femmes. Mais j'avais affaire à des candidats dont 90 % étaient des hommes ». Vidya explique donc qu’avec un tel pourcentage de candidats masculins, il n’y avait aucun moyen qu’elle puisse embaucher un pourcentage de femmes plus important que ce qu’elle a fait.
Elle a ensuite quitté Google pour créer sa startup. Là encore, elle a voulu embaucher plus de femmes dans son équipe de technologie, mais l’expérience n’a été qu’un échec. « En tant que femme entrepreneur, je voulais créer une entreprise qui avait une équipe diversifiée. J'ai honte d'admettre que j'ai échoué jusqu'à maintenant », dit-elle. « Nous avons beau essayer, mais nous nous sommes retrouvés avec un groupe de candidats avec 98 % d'hommes. Nous sommes une startup en phase de démarrage qui ne peut pas se permettre les salaires du marché. En dépit de cela, nous avons proposé des salaires plus élevés pour embaucher quelques femmes qui ont bien réussi dans nos entretiens. Mais, elles manquaient d'énergie... Pire encore, elles commencèrent à drainer l'énergie du reste de l'équipe. Finalement, nous avons dû faire la bonne chose pour l'entreprise et les laisser partir. Je suis maintenant à nouveau la seule femme de l'équipe (technologique). »
L’ancienne Lead Tech de Google est également mère de deux enfants : un garçon de 7 ans et une fille de 9 ans. Elle dit que les deux ont en général une bonne compréhension des mathématiques et de la logique. On pourrait dire que ces derniers sont biologiquement destinés à maîtriser les mathématiques et les analyses. Vidya explique en effet que ses enfants ont une mère qui a obtenu un score 800 au GRE Analytics et un père qui a eu un score de 800 au GRE Quant. Mais en essayant de les initier à la programmation, le garçon s’est montré plus apte que la fille. « Cet été, nous avons débuté avec Python », dit-elle. Si « le garçon ne peut pas arrêter d'essayer de résoudre les problèmes, la fille a déclaré qu'elle détestait cela ». Elle dit toutefois avoir remarqué que sa fille est très enthousiasmée lorsqu’il s’agit de créer des autocollants avec Photoshop.
Essayer de résoudre les problèmes de diversité en embauchant plus de femmes nous fait tomber dans un cercle vicieux
Après ses tentatives de diversité pour de grandes entreprises et sa startup, et ses tentatives pour initier ses enfants tôt à la technologie, elle conclut donc que l’obsession de la diversité et les tentatives actuelles de résoudre les problèmes de diversité ne feront qu’empirer la situation des femmes dans le domaine de la technologie. Pour Vidya, on tombe en effet dans un cercle vicieux, une boucle sans fin qu’elle décrit comme suit :
- nous nous inquiétons de l'état de la diversité de genre dans la technologie ;
- nous faisons un pacte pour embaucher plus de femmes alors que parmi les candidats, il y a beaucoup plus d'hommes que de femmes ;
- nous commençons donc à faire un compromis et embaucher des femmes simplement parce que nous devons le faire et non sur la base du mérite ;
- le travail de ces femmes n'est pas aussi bien que nous l’aurions voulu ;
- en voyant cela, les hommes qui pensent déjà que les femmes ne sont pas faites pour la technologie ont une raison de plus de croire cela ;
- ils généralisent donc cette observation sur l'ensemble des femmes dans la communauté technologique ;
- tôt ou tard, certaines de ces opinions se répandent ;
- les féministes parmi nous s'enflamment ;
- les défenseurs de la diversité sont pris dans une frénésie et font à nouveau un pacte pour embaucher plus de femmes ;
- nous revenons ainsi au point de départ.
Au nom de la diversité, les entreprises se mettent à embaucher plus de femmes, juste pour remplir des quotas qui leur sont réservés. En agissant ainsi, Vidya explique que ce sont toutes les femmes dans le domaine qui vont en subir les conséquences.
La French Tech porte néanmoins une initiative similaire avec à la clé la signature d’un Pacte de Parité pour l’égalité hommes-femmes dans la tech
Les entreprises des programmes Next 40 et French Tech 120 discutent, depuis le mois de mars 2022, pour partager leurs idées et leurs ambitions sur la parité entre les femmes et les hommes ainsi que les actions à mettre en place, pour former ce que l'on appelle le Pacte Parité.
Le Pacte Parité regroupe des engagements concrets qui ont déjà été signés par 69 entreprises, soit plus de la moitié des start-up et entreprises qui composent les deux programmes. Parmi les signataires, on retrouve plusieurs licornes, comme Alan, Ankorstore, BlaBlaCar, Contentsquare, Deezer, Dental Monitoring, Doctolib, Ledger, Mirakl, Payfit, Qonto, Spendesk, Swile, Veepee et Vestiaire Collective, mais aussi des start-up comme 360Learning , Devialet, Heetch, JobTeaser, Mano Mano, Mum, Selectra, Sendinblue, Withings, Younited ou Yousign. Les « Licornes », comme on les appelle dans le jargon, ce sont ces startups dans le secteur des nouvelles technologies, créées il y a moins de dix ans et valorisées à au moins un milliard de dollars avant d’être cotées en Bourse.
Les 69 signataires ont pris cinq engagements qui permettront de mener des actions concrètes dans la durée :
- les entreprises engagées doivent, au sein de leur conseil d'administration, atteindre un seuil minimum de 20 % de femmes en 2025, puis 40 % en 2028 ;
- les signataires doivent former 100 % des managers aux enjeux de la diversité et à la lutte contre le harcèlement et les discriminations, d'ici la fin de l'année en cours ;
- ils doivent garantir que toutes les descriptions de postes publiées par l'entreprise s'adressent à des profils féminins et masculins ;
- en outre, les signataires s'engagent à former une équipe commune de représentants, qui s'exprimeront au nom de l'entreprise, tant en interne qu'en externe, avant la fin de l'année 2022 ;
- enfin, les entreprises qui s'engagent promettent de mettre en place un accompagnement spécifique pour chaque salarié à son retour de congé parental, avant la fin de l'année.
Travail et engagements à long terme
Sous l'impulsion de la Mission French Tech, le Pacte Parité repose sur deux ambitions fortes. La première consiste à engager les start-up et les entreprises signataires dans un travail de longue haleine. L'objectif est de déployer les engagements qui viennent d’être listés, pour faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes, grande cause du quinquennat d'Emmanuel Macron. L'autre grande ambition est de parier sur un effet boule de neige et de créer une émulation dans l'écosystème French Tech, pour aller au-delà des cinq engagements et des éventuelles bonnes pratiques.
« La nécessité pour la Mission French Tech d'agir en faveur de la parité dans l'écosystème des start-up nous est apparue comme une évidence. Il n'y a actuellement aucune femme PDG parmi les entreprises Next40 et seulement 7 dans la French Tech 120. Il existe plusieurs leviers pour créer les conditions du changement : l'engagement proactif des entreprises en est un... Nous allons poursuivre, avec les signataires et tous les bénévoles de l'écosystème French Tech, un travail de longue haleine pour accélérer en faveur de plus d'égalité entre les femmes et les hommes dans les start-up »,explique la directrice de la Mission French Tech, Clara Chappaz.
Le sujet des écarts de salaires n'est pas évoqué
Fait notable à propos du Pacte Parité : si les sujets de la lutte contre les discriminations et le harcèlement sexuel sont pris en compte, celui des écarts de salaires n'est pas évoqué. Au-delà de la parité elle-même, un aspect financier doit également être pris en compte. De manière générale, les écarts de salaires sont persistants en France entre les femmes et les hommes ; l'écart de revenu entre les femmes et les hommes s'élève à 22,3 % en 2019, soit 5,1 points de moins par rapport à 1995 selon l'Insee. Les start-up devront se saisir de ce sujet si elles souhaitent avoir des femmes à des postes à responsabilité. Un autre point peut être rappelé : les équipes fondatrices composées uniquement de femmes ont plus de mal à lever des fonds. Preuve de ces inégalités, le baromètre Sista et BCG rapporte que 88 % du montant total levé par les start-up en 2021 a été capté par des équipes fondatrices 100 % masculines. Des données qui pourraient évoluer dans le bon sens si à l'avenir les start-up rééquilibrent leurs équipes dirigeantes.
Et si les entreprises ne respectent pas ce pacte ?
Si les entreprises ne respectent pas le Pacte Parité, rien ne se passe. Un pacte n’est pas une loi. Contrairement à la loi Zimmermann de 2011 qui oblige les entreprises cotées à compter au moins 40 % de femmes dans leur conseil d’administration sous peine de sanctions financières assez lourdes, contrairement à la loi Rixain adoptée en décembre 2021 qui promet des sanctions aux entreprises comptant peu de femmes dans leurs directions exécutives, ici pas de sanction pour les boy’s clubs… Un pacte n’engage que celui qui le signe. Et à peine plus de la moitié des entreprises l’ont signé.
Source : AnitaB
Et vous ?
Fait-il sens de chercher à recruter plus de femmes dans une filière technologique délaissée par des femmes pour des raisons en lien avec l’horloge biologique ?
Voir aussi :
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