Avec la révolution industrielle qui a généralisé la mécanisation du travail, nous avons assisté à un profond changement dans les sociétés de la période partant du 18e au 20e siècle. De nombreux ouvriers ont été remplacés par des machines tandis que la production et les économies ont connu un essor considérable. L’intelligence artificielle (IA) considérée par certains comme l’avancée technologique la plus importante depuis des décennies pourrait en effet avoir les mêmes effets sur les sociétés en les transformant radicalement. Dans une vingtaine d’années, l’IA pourrait être utilisée dans de nombreuses activités, ce qui aurait pour effet d’accroître la productivité et par conséquent les richesses. Mais à qui profiteront ces richesses ;? Comme ce fut le cas dans les années 60 avec l’industrialisation, l’IA ne contribuera-t-elle pas à renforcer les inégalités sociales ;? Ou assistera-t-on à une meilleure répartition des richesses générées par l’IA ;?
Alors que nous ne sommes qu’à l’aube de l’intelligence artificielle, les positions concernant les conséquences de l’intelligence artificielle dans les sociétés actuelles sont aussi diverses que variées. Pour certaines catégories de travailleurs, notamment ceux qui effectuent un travail intellectuel comme les artistes photographes, les graphistes, infographes, etc., les effets de l’automatisation de ces activités par l’IA se font déjà sentir. De nombreux outils d’IA comme Stable Diffusion, Midjourney, Point-E, Dall-E, pour ne citer que ceux-là, sont maintenant capables de rivaliser avec les humains dans ces domaines tout en réduisant le temps de travail et le coût lié à ces tâches. Si d’un côté ces outils sont avantageux pour les entreprises et même certaines personnes qui peuvent maintenant réaliser certaines tâches pour lesquelles elles n’avaient pas de compétences auparavant, pour de nombreuses personnes, ces outils représentent une menace pour leur gagne-pain, car ils pourraient les remplacer dans leurs activités sans générer de coûts supplémentaires.
Le mois dernier, un artiste 3D du nom de Sternsafari racontait dans un billet comment l’arrivée de l’IA lui a fait perdre l’avantage comparatif qu’il avait par rapport à ses collègues dans son travail de graphiste 3D, le réduisant désormais à ne faire que de la retouche et de l’animation des modèles 3D fournis par l’IA Midjourney et non de la création. Or, il se trouve que c’est la création qui l’a poussé à se tourner vers la 3D. À cause de cette IA qui est utilisée dans son entreprise, Sternsafari explique qu’il a perdu du jour au lendemain tout ce qui lui faisait aimer son travail. Cette réalité qui est partagée par beaucoup de personnes travaillant dans de nombreux autres corps de métiers pousse ceux-ci à percevoir ces outils d’automatisation comme des catalyseurs de leur mise au chômage. Pour Arvind Krishna, le PDG d’IBM, à n’en point douter c’est ce qui se passera. Dans une interview consacrée à l’intelligence artificielle, il déclara le mois dernier que l’IA replacera les employés de bureau à cols blancs.
Il est important de préciser que les bouleversements causés par l’IA dans le monde actuel ou peut-être à l’avenir ne sont pas les premiers du genre. En effet, si l’on fait un retour en arrière dans les années 50, 60 et 70, l’on constate que les travailleurs vivant à ces époques ont dû également faire face à la même problématique avec l’automatisation d’un certain nombre d’activités. L’automatisation des processus industriels a entraîné une augmentation de la productivité, mais aussi un taux de chômage énorme. La richesse supplémentaire ne s’est pas retrouvée entre les mains de personnes qui l’ont rendu possible : les enseignants, les balayeurs de rue, les gens qui ont cultivé la nourriture qui a alimenté les gens qui ont conçu les nouveaux systèmes. Elle s’est plutôt retrouvée entre les mains d’un nombre croissant de milliardaires, tandis que les travailleurs à revenu moyen et faible ont vu leur niveau de vie baisser.
Face à ces richesses qui étaient créées et inégalités sociales qui suivaient, John Rawls, un philosophe contemporain de cette époque, a écrit un livre nommé « ;La théorie de la justice ;» dans lequel il s’est prêté à une expérience en invitant des gens à concevoir théoriquement une société, ses règles, son économie et sa structure sociale, avec la mise en garde qu’une fois que vous entrez dans cette société, vous n’auriez aucune idée du rôle que vous jouerez ou ce que vous deviendrez. Rawls soutient que les individus derrière le voile de l’ignorance choisiraient deux principes de justice :
1. Principe de liberté et d’égalité : Chaque personne a un droit égal aux libertés les plus étendues compatibles avec la liberté des autres.
2. Principe de différence : Les inégalités sociales et économiques doivent être agencées de sorte qu’elles sont à la fois au plus grand bénéfice des moins favorisés, et que les positions soient ouvertes à tous dans des conditions d’égalité des chances.
En somme, sans savoir si chacun pourrait profiter des richesses produites par la société, chaque personne interrogée serait plus favorable à une répartition équitable des richesses. Ce concept est ce que Rawls a appelé la « ;justice distributive ;».
Avec l’arrivée Révolution de l’IA, nous sommes confrontés à une période de perturbation similaire aujourd’hui et encore plus dans les années à venir. Tout comme lorsque les machines ont automatisé le travail physique, les algorithmes sont définis pour automatiser le travail intellectuel et certains secteurs comme les artistes, les écrivains, les codeurs, les avocats et enseignants, les infographes, les photographes, etc. risquent d’être remplacés à des niveaux variables par de nouveaux systèmes d’IA puissants dans 10, 20 ou 30 ans. Toutefois, à l’instar de ce qui s’est produit dans les années 60, si l’élément humain a été remplacé dans de nombreux secteurs, la productivité provenant de ces secteurs pourrait continuer à croître. La question que l’on se pose maintenant est de savoir si la même situation vécue dans les années 60 va se répéter à l’avenir avec l’IA. Comment les richesses générées par l’IA seront-elles reparties ;? Les plus riches deviendront-ils encore plus riches et les plus pauvres encore plus pauvres ;? Ou allons-nous assister à une meilleure répartition de ces richesses ;?
Pour répondre à ces questions, il convient de se projeter dans l’expérience de pensée de Rawls. Si vous n’aviez aucune idée de votre race, de votre sexe, de votre âge ou de votre éducation, comment dans l’absolu souhaiteriez-vous que les richesses générées par l’IA soient redistribuées ;? Si vous ne savez pas si vous deviendrez un milliardaire dans la technologie ou un chômeur après l’automatisation de votre travail par l’IA, à quelles fins souhaiteriez-vous que soient dédiés les excédents de richesse produits par l’IA ;? Souhaiteriez-vous par exemple la mise en place d’un modèle de vie comme le revenu de base universel prôné par Matthew Johnson, professeur de politique à l’Université de Northumbria, et qui est un revenu minimum accordé à chaque adulte sans condition aucune pour ses besoins minimums ;? Souhaiteriez-vous par exemple avoir des soins gratuits pour tous sans aucune condition ;? Souhaiteriez-vous avoir des logements sociaux gratuits pour une réduction des inégalités ;? Ou plutôt pensez-vous qu’il faille continuer sur la même lancée actuelle et laisser la société elle-même décider de comment répartir ces richesses sans l’intervention de l’État en supposant que cela créera des inégalités ;?
Pour Jensky, il faudrait faire payer aux entreprises un impôt pour soutenir les services sociaux. Il faudrait faire en sorte que l’automatisation en paie le prix. Sichuan pense que « ;si l’IA remplace un humain, cette entreprise devrait verser la part ou la contribution du travailleur déplacé au filet de la sécurité sociale. Nous pourrions éventuellement nous retrouver dans une société (Star Trek) où les besoins fondamentaux des humains sont pris en charge ;». Abrandis pour sa part pense que peu importe ce que nous pourrions proposer, « ;la société ou plus précisément les riches et les propriétaires d’IA, de la terre et des ressources ne vont jamais rejeter le capitalisme au profit d’une utopie socialiste, même en supposant que l’IA pourrait y parvenir ;». Il ajoute que « ;l’automatisation des métiers avec l’IA sera d’abord utilisée par les capitalistes pour extraire le maximum de valeur pour eux et leurs actionnaires et ensuite ils pourraient peut-être jeter quelques miettes restantes au reste de la population ;».
Source : Independent, John Rawls
Et vous ?
Quelles seront les conséquences de l’IA dans la société ;?
Selon vous, l’IA va-t-elle créer des richesses comme ce fut le cas avec l’industrialisation dans les années 50, 60 et 70 ;? Ou pensez-vous que son impact sur les économies actuelles sera minime ?
Pourra-t-on résoudre le problème des inégalités dans la société à l’ère de la domination de l’IA ;?
Quelles solutions proposeriez-vous si l’on vous demandait votre avis sur la manière dont on devrait utiliser les ressources et richesses générées par l’IA dans 20 ou 30 ans ;?
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Mais à qui profiteront ces richesses ? L'IA ne va-t-elle pas accentuer les inégalités ?
Le , par Olivier Famien
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