« Si vous êtes un travailleur loyal, vous êtes également susceptible d'être un travailleur exploité ». C'est la conclusion d'une étude qui décrit la loyauté envers une entreprise comme une arme à double tranchant. Le rapport de l'étude souligne que les managers privilégient les travailleurs loyaux par rapport aux collègues moins engagés lorsqu'ils distribuent du travail non rémunéré et des tâches supplémentaires (ou ingrates). Plus précisément, la loyauté pourrait simplement se traduire par un surcroît de travail. Et plus un employé loyal travaille, plus il a de chances qu'on lui demande d'en faire encore plus. Les chercheurs affirment qu'il s'agit d'un cercle vicieux.
L'étude, intitulée "Loyal Workers Are Selectively And Ironically Targeted For Exploitation" (les travailleurs loyaux sont sélectivement et ironiquement ciblés par l'exploitation), a été menée par Matthew Stanley - PhD, chercheur principal de l'étude et chercheur postdoctoral à la Fuqua School of Business de l'université Duke - et ses collègues Chris Neck, PhD, et Chris Neck, chercheurs père et fils à l'Arizona State University et à la West Virginia University, respectivement. Pour l'étude, Stanley a recruté en ligne près de 1 400 cadres pour qu'ils lisent l'histoire d'un employé fictif de 29 ans nommé John. Les conclusions sont pour le moins intéressantes.
La question de la loyauté s'est posée au cours de ces douze derniers mois au milieu des vagues de licenciements massifs dans les entreprises technologiques. De nombreuses entreprises de l'IT ont licencié plusieurs milliers d'employés dans le cadre de leurs politiques de réduction de coûts mises en place pour faire face au ralentissement économique qui s'est installé à la suite de la pandémie de la Covid-19. Les employés licenciés se sont indignés de la façon dont ils ont été remerciés après avoir été loyaux à ces entreprises pendant plusieurs années. Selon de nombreux témoignages d'employés licenciés, il ne servirait à rien d'être loyal envers son employeur.
« Les entreprises ne se soucient plus de la loyauté. Et vous ne devriez pas non plus. Ne vous sentez pas redevable à votre employeur. Si vous êtes remplaçable à 100 %, lui aussi l'est. Cela signifie que vous pouvez changer d'emploi, trouver des endroits qui paient mieux, optimiser votre carrière. Prenez soin de vous, car personne d'autre ne le fait », a écrit Justin Moore, un travailleur licencié cette année par Google par le biais d'un courriel après qu'il a passé plus de 16 ans dans l'entreprise. Plusieurs milliers d'autres employés du secteur technologique seraient confrontés à ce type de traitement. Une situation qu'ils décrivent comme "une horreur".
Pour l'étude de Stanley, les cadres ont tous appris que l'entreprise de John disposait d'un budget serré et que, pour limiter les coûts, ils devaient décider dans quelle mesure ils seraient prêts à confier à John des heures et des responsabilités supplémentaires sans aucune rémunération additionnelle. (Les participants à l'étude de Stanley ont été rémunérés à 12 dollars par heure.) Selon le rapport de l'étude, quelle que soit la manière dont Stanley et ses collègues ont présenté le scénario, le fait de considérer John comme un employé loyal a toujours eu pour conséquence que les managers aient été plus enclins à lui confier ou à lui demander d'assumer le travail non rémunéré.
Les managers étaient plus enclins à exploiter John le loyal que John le déloyal. Et lorsqu'un autre groupe de managers lisait une lettre de recommandation sur John, les lettres faisant l'éloge de John comme loyal conduisaient à une volonté accrue de le recruter pour un travail non rémunéré par rapport aux versions de John vantées pour leur honnêteté ou leur équité. Selon Stanley, l'inverse était également vrai : lorsque John était présenté comme ayant la réputation d'accepter des heures et une charge de travail supplémentaires, les managers le considéraient comme plus loyal qu'un John qui avait la réputation de refuser la même charge de travail.
John l'agréable et John le refusant ont toutefois été jugés tout aussi honnêtes et justes, ce qui, selon les chercheurs, démontre que la loyauté, mais pas les traits moraux étroitement liés, est renforcée par un passé de travail gratuit. « C'est un cercle vicieux. Les travailleurs loyaux ont tendance à être choisis pour être exploités. Et lorsqu'ils font quelque chose qui relève de l'exploitation, leur réputation de travailleur loyal s'en trouve renforcée, ce qui les rend plus susceptibles d'être repérés à l'avenir », explique Stanley. Il a expliqué que certains managers peuvent exploiter des travailleurs loyaux simplement parce qu'ils sont en mesure de la faire.
Cependant, il a ajouté que ce n'est pas toujours aussi simple. Dans d'autres cas, ils peuvent ne pas savoir ce qu'ils demandent à des employés loyaux et se contenter de faire leur travail. « Je pense qu'il est naturel de penser que les managers sont des personnes malveillantes, mais ce n'est pas nécessairement vrai », a-t-il déclaré. L'une des raisons pour lesquelles les managers s'en prennent aux travailleurs loyaux est qu'ils pensent que c'est le prix à payer pour être loyal. L'équipe a constaté que les cadres ciblaient les travailleurs loyaux parce qu'ils pensaient que la loyauté s'accompagnait du devoir de faire des sacrifices personnels pour leur entreprise.
Mais il n'y a pas que de la malveillance. L'exploitation peut être en partie due à l'ignorance, ou à ce que les psychologues appellent "la cécité éthique". « La plupart des gens veulent être bons. Pourtant, ils transgressent les règles avec une fréquence surprenante dans leur vie de tous les jours. Cela est dû en grande partie à la cécité éthique, qui fait que les gens ne voient pas en quoi ce qu'ils font est incompatible avec les principes ou les valeurs qu'ils ont tendance à professer », explique Stanley. Selon lui, il serait également tentant de dire que les travailleurs seraient mieux servis s'ils étaient moins loyaux, mais il s'abstient de faire une telle déclaration.
« La loyauté est toujours un trait de caractère apprécié, et les employés peuvent bénéficier dans de nombreuses situations d'un effort supplémentaire. Le message n'est pas d'en faire le moins possible dans toutes les circonstances possibles. Toutefois, les employeurs devraient tenir compte des conclusions de l'étude et mettre en place des mécanismes de contrôle pour s'assurer que les travailleurs ne sont pas exploités. Cela consiste en la mise en place de barrières institutionnelles pour empêcher ce genre de choses de se produire », a-t-il déclaré. L'étude ne fournit pas de solution miracle pour éradiquer les pratiques d'exploitation des employeurs.
Mais Stanley affirme qu'un remède partiel pourrait consister simplement à faire en sorte que les managers reconnaissent leurs erreurs et signalent ces angles morts éthiques. Il a conclu en disant : « je ne veux pas suggérer que la conclusion de l'article est de ne pas être loyal envers qui que ce soit, car cela mène tout simplement au désastre. Nous apprécions les personnes loyales. Nous les considérons de manière positive. Ils sont souvent récompensés. Il n'y a pas que le côté négatif. C'est vraiment délicat et complexe ». Danielle Boris, spécialiste du monde du travail, affirme qu'elle n'a pas été surprise par les résultats de l'étude.
Mais elle a suggéré que si les entreprises veulent vraiment éviter le piège de la surcharge des employés loyaux, elles devraient réfléchir non seulement à la quantité de travail qu'elles leur demandent, mais aussi au type de travail. Boris, fondatrice de Sandbox, une plateforme technologique spécialisée dans les ressources humaines, a expliqué que, si le travail est utile et permet à un employé loyal d'éprouver un sentiment d'accomplissement, il servira à la fois les intérêts de l'employé et ceux de l'employeur. Mais l'inverse est également vrai. « Si nous accumulons les tâches aléatoires, l'employé risque de s'épuiser », a-t-elle déclaré.
Source : rapport de l'étude
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Le , par Bill Fassinou
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