Le manque de talents IT crée des avantages pour ceux disponibles
On a vraiment l'impression que chaque entreprise essaie de recruter des développeurs de nos jours, et fait tout ce qu'elle peut pour les avoir. Le problème s'est aggravé avec la crise sanitaire de la Covid-19 qui a frappé le monde fin 2019. Les mesures drastiques pour lutter contre la pandémie, comme le confinement de la population, ont obligé les entreprises à mettre en place le télétravail. Dans ce dernier cas, il a fallu des informaticiens pour sécuriser les communications entre les différents employés qui travaillent depuis leurs domiciles. Les développeurs ont également été sollicités pour créer des produits permettant aux entreprises d'être présentes en ligne.
Mais l'offre était et continue d'être inférieure à la demande. Et les entreprises se montrent désormais prêtes à tout pour s'offrir le peu de talents disponibles en usant de mesures incitatives extrêmes. La hausse des salaires est l'exemple le plus frappant. Mais d'autres choses comme la possibilité de travailler d'où l'on veut, des mesures de bien-être telles que plus de jours de congés, des abonnements à des services de distraction, des voyages payés, etc., sont également des stratagèmes utilisés aujourd'hui par les entreprises pour recruter de nouveaux talents. Certaines de ces mesures sont nées de la "Grande démission" survenue dans la seconde moitié de 2020.
Des millions de travailleurs insatisfaits de leur travail ou de leur salaire avaient quitté leur emploi. La "Grande démission" a commencé aux États-Unis avant de gagner le reste du monde. Ainsi, si le recrutement de compétence est actuellement un défi majeur pour les entreprises technologiques, la rétention du personnel déjà sur place l'est tout autant. En effet, les mesures incitatives élaborées par les employeurs pour attirer de nouveaux talents ont induit une nouvelle forme de compétitivité entre les entreprises qui doivent se battre pour convaincre leurs employés actuels de garder leurs postes. Ils pourraient être tentés par les avantages qu'ils voient ailleurs.
En gros, les développeurs semblent maintenant dicter la loi. Cependant, l'on se pose la question de savoir si les choses resteront ainsi pour toujours ou la tendance va bientôt s'inverser. « Les choses sont évidemment bonnes pour nous, développeurs, et nous aimerions certainement qu'elles demeurent ainsi. Je suis certainement heureux de l'état actuel des choses, mais je ne peux m'empêcher de me poser des questions : alors, comment le bon temps se terminera-t-il ? », s'est interrogé Douglas Vaghetti, un développeur. Selon Douglas, soit la demande de travailleurs de la technologie va diminuer, soit l'offre va continuer d'augmenter.
Il pense tout de même que la baisse de la demande est sans doute la prochaine étape. Selon lui, les salaires sont une question d'offre et de demande. Un grand nombre d'entreprises essayant d'embaucher un nombre limité de développeurs signifie que les salaires augmentent, si c'était l'inverse, ils baisseraient. Voici ce qu'il présente dans un argumentaire sur son site Web personnel.
L'offre augmente
« Les marchés font leur travail. Tout le monde voit les travailleurs de la technologie gagner de l'argent et s'amuser en général, et ils se disent : "Hé, ça semble être un bon choix de carrière". Chaque année, nous avons plus de diplômés en informatique. Les camps d'entraînement au code sont également en plein essor », a-t-il déclaré. Cependant, Douglas estime qu'il s'agit là de changements à long terme qui compensent à peine l'augmentation de la demande. « Je ne vois donc pas de changement significatif sur ce front à court ou moyen terme », a-t-il ajouté.
La demande diminue
« C'est là que je pense que les changements les plus intéressants (et les plus rapides) pourraient se produire. Jeff Bezos a dit : "Votre marge est mon opportunité". Les salaires des travailleurs de la technologie sont certainement une opportunité massive en ce moment ! Il y a beaucoup d'argent à gagner en fabriquant des produits qui permettent aux entreprises de faire des choses avec moins de développeurs, voire sans développeurs du tout », fait-il remarquer. Ainsi, l'on pourrait être amené à observer les scénarios ci-après.
Amélioration des outils pour les développeurs
Selon Douglas, les développeurs coûtent cher. En raison de cela, il estime que si un nouvel environnement de développement intégré (EDI) fait son apparition et qu'il permet de livrer des produits 5 % plus rapidement, cela signifie que vous pouvez avoir 5 % de développeurs en moins. Bien sûr, l'EDI a un prix, mais il serait presque certainement moins cher que les 5 % de développeurs. « Je n'ai pas vu beaucoup d'améliorations dans les outils de développement au cours des deux dernières années, mais l'IA fait des progrès vraiment significatifs dans ce domaine avec des choses comme GitHub Copilot », a-t-il déclaré.
Il estime que pour l'instant, le logiciel ne fournit que des suggestions plus intelligentes de complétion automatique, mais dans un avenir pas si lointain, l'on pourrait voir des IA trouver des bogues dans notre code, ou même générer des tests. En outre, DeepMind a déclaré au début du mois que son IA AlphaCode est déjà aussi bonne qu’un développeur humain moyen, bien qu’étant encore au stade de l’enfance. AlphaCode a fait l'objet de tests sur des défis organisés par Codeforces, une plateforme de codage compétitive qui publie des problèmes chaque semaine et établit des classements pour les codeurs.
Ces défis nécessitent une connaissance approfondie des algorithmes et des concepts théoriques de l'informatique. Ce sont des puzzles très spécialisés qui combinent logique, mathématiques et expertise en matière de codage. Dans un exemple de défi auquel AlphaCode a été soumis, on demande aux concurrents de trouver un moyen de convertir une chaîne de lettres "s" et "t" aléatoires et répétées en une autre chaîne des mêmes lettres en utilisant la touche retour arrière. AlphaCode procède à la lecture du problème et propose le code source d’une solution à ce dernier.
Dix de ces défis ont été soumis à AlphaCode dans le même format que celui utilisé par les humains. AlphaCode a ensuite généré un plus grand nombre de réponses possibles et les a triées en exécutant le code et en vérifiant le résultat, comme le ferait un concurrent humain. AlphaCode a été testé sur 10 des défis déjà relevés par 5000 utilisateurs sur le site Codeforces. En moyenne, l'intelligence artificielle se classe dans le top 54,3 % des réponses.
DeepMind note que les compétences actuelles d'AlphaCode ne sont applicables que dans le domaine de la programmation compétitive, mais que ses capacités ouvrent la voie à la création de futurs outils qui rendront la programmation plus accessible et un jour entièrement automatisée.
Le développement low-code/no-code s'améliore
D'après Douglas, cela fait des dizaines d'années que l'on essaie de faire cela, mais cela n'a jamais vraiment fonctionné. « Je ne peux pas penser à un seul produit qui a été en mesure d'obtenir un degré significatif de succès en fonctionnant sur une plateforme à low-code. Mais l'apprentissage profond était dans une situation similaire dans les années 90 et maintenant nous avons de vrais produits qui l'utilisent et qui fonctionnent pour la plupart. L'incitation n'a jamais été aussi grande. Plus les développeurs sont chers, plus il y a d'argent à gagner en les rendant moins nécessaires », a-t-il déclaré.
À ce propos, Mendix, une société américaine de plateformes low-code, a publié un rapport en septembre dernier qui stipule que les entreprises se tournent davantage vers le low-code, alors que la demande de développeurs monte en flèche. Cela suggère que certaines entreprises tentent de combler le manque de développeurs avec les plateformes low-code/no-code qui nécessitent moins de connaissances techniques. Selon Mendix, plus des trois quarts des organisations (77 %) créent maintenant des applications à l'aide d'outils de programmation low-code, et la tendance devrait continuer d'évoluer.
De son côté, Gartner prévoyait une augmentation de 23 % du marché mondial des technologies de développement low-code en 2021. Selon le cabinet d'étude, l'essor du télétravail durant la pandémie de la Covid-19 continuera à stimuler l'adoption du low-code, malgré les efforts continus d'optimisation des coûts. « Si le développement d'applications low-code n'est pas nouveau, la confluence des perturbations numériques, de l'hyperautomatisation et de l'essor des activités composables a entraîné un afflux d'outils et une augmentation de la demande », a déclaré Fabrizio Biscotti, vice-président de la recherche chez Gartner.
En juin 2021, Gartner a publié de nouvelles prévisions estimant cette fois-ci qu'environ 80 % des technologies pourraient être créées par des professionnels extérieurs à l'informatique d'ici 2024, grâce aux outils low-code. Gartner s'attend également à voir davantage d'annonces de lancements de technologies par des entreprises non technologiques faire la une des médias en 2022. Et le cabinet pense que d'ici 2042, plus d'un tiers des fournisseurs de technologies devraient être en concurrence avec des fournisseurs non technologiques. Le rapport de Gartner a été critiqué, mais le constat dans l'industrie fait état de ce que le low-code/no-code gagne du terrain.
Microsoft, Amazon et plus autres entreprises ont lancé ces dernières années plusieurs outils destinés au développement low-code/no-code. En mars de l'année dernière, Microsoft a lancé Power Fx, un langage de programmation low-code open source basé sur Excel. Selon le géant technologique de Redmond, Power Fx permet un développement complet, du "no code" au "pro code", sans fossé entre les deux, ce qui permet à diverses équipes de collaborer et de gagner du temps et de l'argent. Microsoft utilisait déjà le langage en interne, mais a annoncé qu'il le rend désormais open source afin de permettre à tout le monde de l'utiliser.
Diminution des investissements
« Je pense que c'est le scénario le plus probable », a déclaré Douglas. Selon lui, une grande partie de la demande actuelle de développeurs provient davantage des attentes de profits futurs que des profits actuels. De nombreuses entreprises qui embauchent actuellement seraient des entreprises non rentables qui survivent grâce à l'argent des investisseurs dans l'attente de profits futurs. Si les conditions économiques changeaient et que les investisseurs décident qu'ils n'aiment plus les entreprises technologiques, beaucoup d'entre elles fermeraient inévitablement. Moins d'entreprises qui embauchent signifie aussi moins de demandes.
« Cela semble peut-être pessimiste, du moins pour les développeurs, mais honnêtement, je ne pense pas qu'il y ait tant de raisons de s'inquiéter », estime Douglas. Selon ce dernier, même si nous entrons dans une nouvelle bulle Internet et qu'une bonne partie de notre écosystème de startups disparaît, la demande de technologie se répand dans tous les secteurs, les entreprises du monde entier numérisent leurs opérations et ces systèmes devront être maintenus d'une manière ou d'une autre.
En outre, il pense que les salaires sont notoirement rigides, de sorte qu'au lieu d'une réduction des salaires, l'on pourrait assister à l'avenir à une réduction de la main-d'œuvre. « Peut-être vaut-il mieux commencer à répondre aux spams des recruteurs de LinkedIn. Juste au cas où ! », dit-il.
Source : Douglas Vaghetti
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