Les entreprises technologiques déroulent le tapis rouge aux travailleurs
En Europe comme aux États-Unis, les entreprises technologiques peineraient à recruter de nouveaux talents, mais plus difficile, à convaincre leurs employés actuels de rester. Selon plusieurs rapports sur le sujet, les tendances de la "Grande démission" se poursuivent et les travailleurs semblent être de plus en plus attirés par de "gros paquets salariaux". La "Grande démission" désigne la vague de démissions professionnelles de grande ampleur qui a commencé vers l'été 2020 aux États-Unis avant de gagner le reste du monde. Des millions de travailleurs insatisfaits de leur travail ou de leur salaire ont quitté leur emploi.
L'on estime que rien qu’aux États-Unis, plus de 24 millions de travailleurs auraient quitté leurs emplois entre avril et septembre 2021. La pandémie de coronavirus est citée également comme un accélérateur de cette hémorragie en rétention de talents. Et alors que la pandémie s'estompe et que les employeurs commencent à entrevoir un retour à la normale, les entreprises technologiques doivent convaincre les talents de revenir travailler ou les employés déjà sur place de maintenir leurs postes. « Il n'a jamais été aussi difficile ou coûteux d'embaucher de nouvelles personnes », a déclaré Joy Nazzari, fondatrice de la startup britannique Showhere.
« Pourtant, il faut aussi défendre ceux que l'on a déjà, parce qu'ils voient les lumières brillantes - ils sont sollicités sur LinkedIn et entendent des histoires d'amis attirés par de gros paquets salariaux », a-t-elle ajouté. Selon un rapport, elle essaie désespérément d'embaucher 16 personnes - une combinaison de développeurs de haut niveau, de chefs de projet et de designers. Mais son vivier de candidats s'épuise. Global Knowledge s'est également penché sur la question et a découvert que 76 % des décideurs informatiques mondiaux sont actuellement confrontés à des pénuries de compétences critiques au sein de leurs équipes.
Le cabinet de formation estime que la pénurie de compétences risque de s'aggraver avant de s'améliorer. Alors, comment réagissent les entreprises face à ce problème ? En s'appuyant sur quelques sources, l'on remarque que ce phénomène a poussé les employeurs à recourir à des mesures incitatives extrêmes pour recruter le plus grand nombre possible d'entre eux. Les entreprises expérimentent toutes sortes de mesures de bien-être pour attirer de nouveaux employés. Par exemple, en janvier, le site de réseautage social et de partage de photographies Pinterest a augmenté ses avantages en matière de fertilité et de congé parental.
En décembre, la société Finder, spécialisée dans les technologies financières, a introduit cinq jours supplémentaires en plus des congés annuels payés et des congés de maladie ; et On Purpose, une société de conseil en communication basée à New Delhi, en Inde, a lancé un congé payé de sept jours pour l'adoption d'un animal de compagnie à partir de février. Ailleurs, notamment en Europe, des candidats se voient même offrir de l'argent simplement pour se présenter à des entretiens d'embauche. Deutsche Familienversicherung, une société d'assurance basée à Francfort, en Allemagne, déclare offrir 500 euros à tous ceux qui passent un entretien.
Selon les sources, l'entreprise offre 1 000 euros supplémentaires à ceux qui passent un deuxième tour et 5 000 euros de plus à ceux qui terminent une période d'essai de six mois. En outre, les grandes entreprises ne sont pas les seules à utiliser ces mesures. L'association Software Freedom Conservancy, qui emploie six personnes, verserait 500 dollars aux finalistes des entretiens. Cactus Communications, une plateforme de publication pour la communauté scientifique, offre 5 % de la rémunération annuelle d'un poste en guise de prime de bienvenue, et chez Showhere, la société de Nazzari, c'est un mois de salaire à la signature du contrat de travail.
Un autre défi important que les employeurs doivent relever est de convaincre les employés qui travaillent déjà dans leurs équipes de rester. « Un bonjour en or est une décision difficile à prendre, car les personnes qui travaillent déjà dans l'entreprise disent : "Je n'en ai pas eu". Mais tout le monde reconnaît en interne qu'il s'agit d'une situation inhabituelle et que, pour continuer à nous développer, nous devons être très compétitifs », a déclaré Nazzari.
Cependant, Nazzari a déclaré que les primes à l'embauche de Showhere n'ont pas été efficaces, car les candidats cherchent à maximiser l'opportunité d'obtenir des salaires beaucoup plus élevés ailleurs. En conséquence, elle adopte désormais un plus large éventail de tactiques, comme par exemple proposer aux candidats des postes à responsabilité dès leur premier entretien téléphonique et laisser les recrues déménager où elles le souhaitent. Auparavant, recruter du personnel à l'étranger et le soumettre à la procédure d'obtention d'un visa semblait trop compliqué, mais aujourd'hui, cela semble inévitable.
Les entreprises IT ont revu en profondeur leurs critères d'embauche
D'autres employeurs sont dans une situation similaire. « En 2021, nous avons cessé de prendre en compte les critères de localisation lors du recrutement », explique Ashmita Das, PDG d'une plateforme de freelance pour scientifiques appelée Kolabtree, qui dispose d'une équipe à temps plein de 25 personnes. « Nous embauchons quand et où nous le pouvons - c'est une excellente occasion pour les travailleurs de rechercher des opportunités différentes, ou de travailler dans un autre domaine », a-t-il ajouté. Les postes permanents à distance aux États-Unis auraient doublé, passant de 9 % à 18 % au cours du dernier trimestre de 2021.
Selon le service d'emploi en ligne Ladders, ces emplois pourraient passer à 25 % d'ici 2022. « Depuis que nous avons fait la transition vers le remote-first, nous avons pu élargir nos options d'embauche à l'échelle mondiale et ne pas être limités à un bassin de talents dans une région », a déclaré Maureen Carroll, directrice principale de l'acquisition de talents à l'échelle mondiale chez la société américaine Vista, une société spécialisée dans les services numériques pour les petites et moyennes entreprises. Selon Carroll, ce changement a entraîné une augmentation de 300 % des demandes d'emploi - elle pense donc que cela fait une différence.
Début février, des entreprises comme Amazon, PayPal, Intel et Pinterest auraient déclaré aux actionnaires que le rejet du travail à distance leur coûterait cher dans la lutte pour le recrutement de talents, d'autant que Facebook, Twitter et Shopify en ont fait la norme. Au Japon, où le travail à distance n'est pas encore très répandu, Yahoo aurait annoncé que ses employés pouvaient travailler de n'importe où dans le pays et qu'il paierait leurs vols s'ils avaient besoin de venir au bureau. Selon d'autres sources, des entreprises se tournent vers le Nigeria et l'Amérique latine pour recruter des travailleurs à distance bon marché.
Alors que des sociétés technologiques s'interrogent sur le choix entre le télétravail et le télétravail hybride, la course au personnel s'est traduite par une augmentation universelle des salaires. Selon un rapport de Dice, le salaire médian des postes technologiques aux États-Unis a augmenté de près de 7 % entre 2020 et 2021 pour atteindre une moyenne de 6 707 dollars par employé et par mois. Le rapport indique que le salaire moyen d'un travailleur intellectuel dans le secteur s'élève désormais à 104 566 dollars par an, les développeurs Web bénéficiant de la plus forte augmentation après que leur salaire annuel a bondi de 21,3 % en glissement annuel.
Meike Jordan, responsable RH chez Productsup, une plateforme de produits de consommation basée à Berlin, estime qu'il n'existe pas de solution miracle pour les entreprises qui souffrent d'une carence de compétences. « Attirer des candidats en leur offrant des avantages tels qu'un baril de bière dans la cuisine ou des politiques flexibles de travail à domicile est une chose du passé. Les gens en ont assez d'être surmenés et sous-payés, et veulent un employeur qui se soucie de leur bien-être général et de leur réussite future », a-t-elle déclaré. Selon elle, les entreprises doivent revoir les plans de carrières qu'elles proposent à leurs employés.
En France, Pôle Emploi relativise toutefois la pénurie de main-d'œuvre dans l'IT. Dans un rapport publié mi-décembre, l'agence a fait remarquer que le secteur de l'IT est particulièrement sensible aux variations conjoncturelles. En période de ralentissement, les SSII jouent un rôle d’amortisseur, mais la rançon de ce mode de gestion de l’emploi "très focalisé sur le court terme" serait peu propice à répondre aux besoins en période de reprise. Pour Pôle Emploi, les donneurs d’ordres, souvent focalisés sur la satisfaction de leurs besoins immédiats, pourvoient de plus en plus leurs propres postes en faisant appel aux personnels des sociétés de service détachés.
Ils investiraient donc moins dans une gestion des compétences à moyen et long terme. Or, les données disponibles sur une longue période tendraient à prouver que "ce mode de gestion implique en retour des difficultés à trouver des candidats lorsque ces besoins s’accroissent". Enfin, face à une pénurie de main-d'œuvre et à des demandes de salaires plus élevés à travers le monde, certaines entreprises se tournent vers les robots pour le travail automatisé. Celles qui n'ont pas les moyens d'acquérir une énorme flotte de robots se tournent vers un nouveau modèle : la location de robots.
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