Le mode de travail hybride devrait s'imposer à l'avenir
Le travail à domicile a joué un rôle prépondérant depuis le début de la pandémie du coronavirus en permettant aux travailleurs et aux entreprises de rester productifs malgré la mesure du confinement. Il a également amélioré la productivité et le rendement de certains travailleurs et de certaines entreprises au point où des experts ont prédit la fin du bureau. Pour ces derniers, le télétravail a apporté des avantages aux entreprises (réductions des coûts, hausse de productivité, plus de créativité, etc.), mais aussi pour les travailleurs - notamment amélioration du bien-être, réduction des coûts de transport, réduction de l'absentéisme et des retards, etc.
Cependant, alors que la pandémie prend du recul et que le retour à la normale se précise, Mimi Nguyen, cofondatrice de Mana Labs et chargée de cours sur l'innovation à l'université des arts de Londres - qui a étudié le télétravail tel qu'il a été mis en place dans diverses entreprises au cours des 18 derniers mois - a déclaré que cette conclusion est erronée. Selon elle, le verdict est clair : « pour de nombreux emplois - en particulier les postes collaboratifs, à haut niveau de compétences et à haute valeur ajoutée - le travail à domicile ne fonctionne tout simplement pas, et nous ne devons pas confondre une anomalie temporaire avec une nouvelle normalité ». Mais encore, elle estime que le télétravail à plein serait un désastre.
Selon le rapport d'étude, publié dans le média américain Time, la pandémie ne signera pas "la mort du bureau", comme certains l'ont suggéré, mais le travail à domicile ne fera pas non plus entièrement partie du passé. Le rapport estime que de nombreux travailleurs ne souhaitent pas la fin du télétravail, car ils apprécient la liberté et la flexibilité que le travail à domicile leur procure. Mais Nguyen pense que « la solution pour l'avenir est un modèle hybride structuré qui reconnaît que le travail à domicile ne fonctionne pas à long terme pour la plupart des emplois, tout en offrant une certaine flexibilité aux travailleurs ». Autrement dit, l'hybride devrait être le mode de travail dominant à l'avenir.
D'après l'universitaire, une façon d'y parvenir serait d'allouer des plages horaires - peut-être des jours spécifiques - de travail au bureau pour tous les employés afin de maintenir la productivité et la collaboration sur le lieu de travail, tout en autorisant le travail à domicile en dehors de ces heures. Alors, pourquoi l'hybride ? Selon le professeur Tom Eisenmann de la Harvard Business School, parce que le travail à distance va devenir une partie beaucoup plus importante de nos vies, les entreprises seront amenées à résoudre un problème important : « le maintien d'une culture lorsque les gens sont dispersés dans le monde entier ».
Eisenmann indique que c'est en raison de ce problème qu'il a fallu une pandémie pour que le télétravail devienne courant, bien qu'il s'agisse d'une idée ancienne. En 1970 déjà, Alvin Toffler aurait prédit une évolution vers le travail à domicile, par opposition au travail dans les bureaux et les usines. Environ un demi-siècle plus tard, sa prédiction s'est réalisée. Selon une analyse du Pew Research Center, avant la pandémie, 20 % des travailleurs effectuaient la totalité ou la majeure partie de leur travail à domicile. Ce chiffre serait passé à plus de 70 % pendant la pandémie, d'après l'analyse basée sur 5 858 adultes américains.
Pour certains, le travail à distance entraîne une augmentation de la productivité, ainsi que de la satisfaction au travail, notamment pour ceux qui occupent des emplois techniques nécessitant un travail d'équipe minimal. Cependant, selon l'étude, dans certains secteurs, c'est le cas depuis un certain temps. À titre d'exemple, le rapport note que Stack Overflow, un site Web communautaire basé à New York pour les programmeurs informatiques, a révélé en 2017 que 53 % des 64 000 développeurs interrogés ont classé le travail à distance comme l'un de leurs cinq avantages professionnels les plus appréciés.
Cela dit, Nguyen a déclaré que les travailleurs comme eux (les programmeurs informatiques) sont minoritaires et, aussi actuel que soit leur cas, l'on devrait être prudent avant d'appliquer un changement aussi radical à l'ensemble des modèles économiques.
Le télétravail n'est pas adapté à tous les travailleurs
Nguyen a également déclaré avoir évalué la collaboration multidisciplinaire dans un environnement de travail à domicile bien avant le début de la pandémie. Ainsi, elle rapporte que les personnes employées sur des projets créatifs au sein d'équipes virtuelles ont déclaré se sentir davantage comme un "travailleur" et moins comme un membre d'une famille. Une personne interrogée a déclaré à propos des employeurs : « Ils ne voient pas à quelle heure vous vous présentez devant votre ordinateur. Ils ne voient pas à quel point je travaille dur ». Mais les individus en télétravail seraient confrontés à un autre problème plus sérieux.
« [Une chose] plus dommageable que les effets du travail à domicile sur les individus est ce qu'il fait aux équipes », a-t-elle déclaré. Ces derniers expliquent dans leur rapport que le travail à distance brise souvent les mécanismes qui permettent à une équipe de travailler ensemble de manière créative. Selon elle, des études ont montré que le meilleur travail créatif se produit lorsqu'une équipe est dans un état de fluidité, c'est-à-dire lorsqu'elle concentre son attention collective sur un seul problème, ce que l'on appelle le "flux d'équipe". Mais le télétravail rendrait plus difficile l'engagement de chacun dans la résolution de ce problème.
De nombreuses personnes interrogées par Nguyen ont déclaré qu'il était difficile de savoir si un membre de l'équipe avait décroché pendant un appel Zoom. Selon elle, il n'existe actuellement aucune technologie numérique capable de créer un "flux" fiable à distance, et l'on ne devrait pas prétendre le contraire. « Si cette technologie existait, il n'aurait pas été nécessaire d'imposer des restrictions en cas de pandémie pour que nous puissions travailler à distance - les dirigeants et les employés l'auraient déjà adopté », a-t-elle déclaré. En outre, l'auteur de l'étude affirme qu'il existe d'autres preuves de l'existence de ce problème.
Lucidspark, une application de tableau blanc virtuel basée dans l'Utah, aurait constaté que 75 % des 1 000 personnes interrogées en septembre 2020 ont déclaré que la collaboration était l'élément qui souffrait le plus du travail à distance. De plus, les départements RH paieraient désormais le prix de cet isolement et de ce manque de collaboration, 2021 étant déjà qualifiée d'année de la "grande démission". Selon le rapport de l'étude, le département américain du Travail estime que le taux annuel de démission était de 25,5 % en 2020 et que des millions de travailleurs ont démissionné en 2021.
Par ailleurs, Nguyen estime que si les employeurs veulent s'accrocher à leur personnel, ils doivent trouver des moyens de maintenir l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée dont les employés bénéficiaient lorsqu'ils travaillaient à domicile. Des rapports précédents ont déjà tiré la sonnette d'alarme sur l'impact du télétravail sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Selon elle, cela doit se faire tout en les réintégrant au bureau, car le télétravail n'est pas une solution durable. « Il ressort clairement de mes recherches que le travail à domicile entièrement autonome dans tous les secteurs n'est ni souhaitable ni durable », a-t-elle déclaré.
« C'est pourquoi nous devons trouver une troisième voie, où les équipes qui s'épanouissent dans la collaboration se voient imposer des moments obligatoires chaque semaine où tout le monde est censé être au bureau. Ce modèle hybride structuré est différent du travail hybride, selon lequel les employés peuvent aller et venir au bureau comme ils le souhaitent. En combinant des horaires flexibles avec des plages horaires de présence obligatoire au bureau, nous pouvons accorder la liberté dont les cols blancs ont tant profité pendant la pandémie », a-t-elle ajouté.
Selon l'universitaire, cela permettrait également d'éviter l'émergence d'un modèle à deux vitesses, où ceux qui sont présents au bureau prennent de l'avance, tandis que ceux qui préfèrent travailler à domicile sont laissés pour compte. Enfin, elle ajoute que cela ne signifie pas un retour à la misère des trajets quotidiens. Elle avance en effet que le travail hybride structuré pourrait permettre aux travailleurs de se déplacer en dehors des heures de pointe - supprimant ainsi une grande partie de la douleur des trajets - à condition qu'ils soient présents pendant la plage horaire obligatoire pour le travail collectif au bureau.
« Il est clair que, pour la majorité des travailleurs dans la plupart des secteurs, le travail à domicile ne fonctionne pas. Mais nous pouvons quand même tirer les leçons de ce que veulent les employés d'aujourd'hui et de demain, et faire en sorte que cela fasse partie de la nouvelle normalité dans les bureaux post-pandémie », a-t-elle conclu.
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