Le travail à distance est soudainement devenu une nécessité pour beaucoup d’entreprises depuis le début de l’année, alors que le covid-19 se propageait à travers le monde entier. Les gouvernements des pays touchés par la pandémie ont pris des mesures de distanciation sociale afin de ralentir la vitesse d’infection au coronavirus en imposant ou conseillant le télétravail pour tous les employés. Ce qui a obligé la plupart des organisations à revoir rapidement leurs politiques de travail existantes. Seulement cette nouvelle "économie du travail à domicile" devrait survivre au covid-19 qui l'a engendrée, selon les enquêtes de Nicholas Bloom, économiste à Stanford. Son article parle aussi des défis posés par cette transition massive vers le travail à distance généralisé.
Bloom, professeur d'économie à l'École des sciences humaines de Stanford et chercheur principal à l'Institut de recherche en politique économique de Stanford (SIEPR), se concentre sur l'économie du travail, les pratiques de gestion et l'incertitude. Pendant la période des mesures de restrictions liées au covid-19, Bloom a mené plusieurs enquête aux États-Unis qui lui ont permis de conclure à l’émergence d’une nouvelle "économie du travail à domicile". Dans son article publié à la fin du mois de juin et dans un autre dossier, l’économiste soutient que cette nouvelle économie aura des impacts sociétaux allant d'une bombe à retardement pour l'inégalité à une érosion des centres-villes.
Dans une enquête menée entre le 21 et le 25 mai auprès de 2500 Américains âgés de 20 à 64 ans, Bloom et son équipe ont constaté que 42 % de la main-d'œuvre américaine travaille maintenant à domicile à plein temps, tandis que 26 % travaillent dans les locaux de leur entreprise, principalement en tant que travailleurs des services essentiels. Selon l’économiste, la proportion restante ne travaille pas, témoignant ainsi de l'impact désastreux de la récession due aux mesures de confinement. Ce qui permet de conclure que près de deux fois plus d'employés travaillent à domicile que sur leur lieu de travail.
Ainsi, selon Bloom, en chiffres absolus, les États-Unis sont une économie de travail à domicile. Plus remarquable encore, si l'on considère la contribution au produit intérieur brut américain basée sur leurs revenus, ce groupe élargi de salariés travaillant à domicile représente désormais plus des deux tiers de l'activité économique américaine, a déclaré l’auteur dans son article.
« Sans ce passage historique au travail à domicile, le confinement n'aurait jamais pu durer. L'économie se serait effondrée, nous forçant à reprendre le travail, ce qui aurait ravivé les taux d'infection », a-t-il écrit en répondant à la question de savoir comment le passage rapide au travail à domicile a été vital pendant la pandémie. « Le travail à domicile n'est pas seulement essentiel sur le plan économique, c'est aussi une arme essentielle dans notre lutte contre le covid-19 - et les pandémies futures », a-t-il ajouté.
Le travail à distance se transforme en une réalité plus permanente
Bloom a rapporté qu’une enquête menée par le Bureau of Labor Statistics auprès de 10 000 salariés a montré que seuls 15 % des employés avaient déjà travaillé une journée entière à domicile, et seuls 2 % des travailleurs ont travaillé à temps plein à domicile. Selon Bloom, la période pré-covid était une époque où le travail à domicile était à la fois rare et stigmatisé.
« Travailler à la maison pendant la pandémie est très différent. Il est aujourd'hui extrêmement courant, sans les stigmates, mais dans des conditions difficiles. De nombreux travailleurs ont des enfants à la maison avec eux. Il n'y a pas d'espace tranquille, on n'a pas le choix de devoir travailler à la maison, et il n'y a pas d'autre choix que de le faire à plein temps », selon Bloom. « Mais le travail à domicile après le covid-19 devrait être ce que nous attendons avec impatience », a-t-il ajouté. « Et un certain nombre d'entreprises élaborent des plans pour offrir davantage d'options de travail à domicile au-delà de la pandémie ».
Selon une récente enquête distincte de Bloom, 5 % des journées de travail étaient passées à la maison avant le covid. Pendant la pandémie, ce pourcentage a été multiplié par huit, pour atteindre 40 % par jour. Et après la pandémie, ce chiffre tombera probablement à 20 %. « Mais ces 20 % représentent toujours une multiplication par quatre du niveau d'avant le covid, ce qui montre bien que le travail à domicile est là pour perdurer », a conclu Bloom.
Selon l’économiste, bien que peu d'entreprises prévoient de continuer à plein temps pour le travail à domicile après la fin de la pandémie, parmi les dizaines d'entreprises interrogées, le plan typique est que les employés travaillent à domicile un à trois jours par semaine, et viennent au bureau le reste du temps. Des précédents rapports avaient déjà noté que certains travailleurs pencheraient plus pour le choix du travail à domicile après la crise sanitaire.
Selon un sondage de OnePoll en collaboration avec GoTo by LogMeIn publié en avril, environ 48 % des travailleurs participants accepteraient volontiers une baisse de salaire si cela signifiait qu'ils pouvaient travailler à domicile indéfiniment, tandis qu’environ 77 % des répondants ont déclaré que c’est le meilleur moyen d’aider l’environnement. Un sondage sur développez.com a révélé que la majorité, soit 56,57 %, des votants sont pour rester en télétravail de façon permanente après la crise.
Une étude de Waveform publiée en avril confirme la tendance. De nombreux employés qui étaient en télétravail à cause du covid-19 souhaitent qu'il soit permanent, même après la crise, selon l’étude. 60,4 % des répondants ont déclaré qu'ils préféraient travailler à domicile, et 48,9 % des répondants souhaitaient que ce soit un changement permanent. Par ailleurs, Reuters a rapporté en avril que le ministre allemand du Travail et des Affaires sociales, Hubertus Heil, prévoyait de présenter un projet de loi afin de faire en sorte que ce droit soit inscrit dans la loi, comme une option.
Le travail à domicile, une bombe à retardement pour l'inégalité
Selon Bloom, ben qu’une nouvelle la nouvelle "économie du travail à domicile" est en train d’émergée, seuls 51 % des répondants à l'enquête - principalement des cadres, des professionnels et des travailleurs financiers qui peuvent effectuer leur travail sur un ordinateur - ont déclaré pouvoir travailler à domicile avec un taux d'efficacité de 80 % ou plus. Les autres (49 %), composés de travailleurs dans le commerce de détail, les soins de santé, les transports et les services aux entreprises, ne peuvent pas travailler à distance, selon l’enquête. Ces derniers ont besoin de voir des clients ou de travailler avec des produits ou des équipements.
Les enquêtes ont également montré que de nombreux Américains ne disposent pas non plus des installations ou d'une capacité suffisante de l’Internet pour travailler efficacement depuis leur domicile. « Plus de la moitié des personnes interrogées qui travaillent actuellement à domicile le font dans des pièces communes ou dans leur chambre. Et seuls 65 % des Américains ont déclaré disposer d'une capacité Internet suffisamment rapide pour permettre des appels vidéo fonctionnels. Les 35 % restants ont un accès à Internet si faible à la maison - ou n'ont pas d'accès à Internet - que cela empêche un télétravail efficace », a déclaré Bloom.
C’est ainsi que Bloom a dit que cette nouvelle "économie du travail à domicile" génère une bombe à retardement pour l'inégalité. En effet, selon les résultats d’enquêtes, les salariés les plus instruits et les mieux rémunérés sont beaucoup plus susceptibles de travailler à domicile. Ils pourront continuer donc à être payés, à développer leurs compétences et à faire progresser leur carrière. Tandis que ceux qui ne peuvent pas travailler à domicile, soit en raison de la nature de leur travail, soit parce qu'ils ne disposent pas d'un espace ou d'une connexion Internet adéquats, sont laissés pour compte. « Leurs perspectives sont sombres si leurs compétences et leur expérience professionnelle s'érodent pendant un arrêt prolongé et au-delà ».
D’autres impacts de la transition vers la nouvelle économie qu’ont montrés les enquêtes de Bloom sont le ralentissement de la croissance des centres-villes. En effet, la grande majorité des employés qui sont passés au télétravail pendant la pandémie travaillaient auparavant dans des bureaux en ville. « Cette recrudescence du travail à domicile est en grande partie durable, et je constate un déclin à plus long terme dans les centres-villes. Les plus grandes villes américaines ont connu une croissance incroyable depuis les années 1980, les jeunes Américains instruits affluant dans des centres-villes revitalisés. Mais il semble que cette tendance va s'inverser en 2020, avec une fuite de l'activité économique hors des centres-villes ».
Bloom estime que la perte de leur présence physique a réduit de plus de moitié les dépenses quotidiennes totales dans les restaurants, les bars et les magasins des centres-villes. Ce ralentissement devrait se faire en faveur des banlieues et les zones rurales qui vont connaître un boom, selon les enquêtes.
Selon Bloom, les villes et les immeubles seront confrontés à deux défis majeurs après le covid : d’abord, comment faire entrer et sortir chaque jour plusieurs millions de travailleurs de grandes villes comme New York, Londres ou Tokyo avec des mesures de distanciation sociale ? Et l’application de la distance sociale réduira « la capacité des ascenseurs de plus de 90 % » et empêchera « les employés d'atteindre leur bureau aux heures de pointe ». Bloom prédit même que la société se sera habituée à la distanciation sociale, même si un vaccin covid-19 finit par être trouvé.
Source : Stanford
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« Mais le travail à domicile après le covid-19 devrait être ce que nous attendons avec impatience ». Qu’en pensez-vous ?
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Le travail à domicile se poursuivra, entraînant un ralentissement de la croissance des centres-villes,
Et générant une bombe à retardement pour l'inégalité, d'après un économiste de Stanford
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Et générant une bombe à retardement pour l'inégalité, d'après un économiste de Stanford
Le , par Stan Adkens
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